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  Compléments de Pétrologie sédimentaire
 
Préambule

Ce cours de complément s'insère à la suite du cours de pétrologie sédimentaire en développant deux chapitres importants, faisant appel à des notions relativement complexes: la diagenèse des carbonates et l'analyse séquentielle. Que trouver de commun entre ces deux chapitres qui justifie leur regroupement? Leur application. La diagenèse des carbonates est un domaine à forte connotation appliquée, puisqu'elle conditionne la qualité des réservoirs de pétrole et de gaz. Son étude fait intervenir des outils plus spécialisés que ceux utilisés dans la sédimentologie en général: la cathodoluminescence et la géochimie isotopique. L'analyse séquentielle est également un outil récent et privilégié de l'industrie pétrolière puisqu'elle permet de comprendre l'histoire d'un bassin sédimentaire. Enfin, le troisième chapitre est une introduction à l'utilisation de la susceptibilité magnétique en tant qu'outil de corrélation haute résolution et également comme traceur des variations du niveau marin. Ici aussi, apparaît une dimension plus appliquée dans la corrélation de puits et la dynamique des bassins.

I. Enchaînement vertical des milieux de dépôt: éléments d'analyse séquentielle

INTRODUCTION

S'il est indispensable de pouvoir reconnaître les divers milieux du domaine marin par l'interprétation des faciès, il n'est pas moins important de comprendre leur enchaînement vertical et latéral dans le temps et l'espace. Cette connaissance s'avère indispensable à la compréhension de l'évolution d'un bassin (aspect dynamique).

Dans l'ensemble des séries sédimentaires, la succession des termes lithologiques ou faciès caractérise l'évolution des milieux de dépôt. Cette évolution verticale présente des coupures "naturelles", définissant des séquences. Chaque séquence est caractérisée par ses limites, son contenu (faciès) et la nature et le sens de ses variations (Fig. I.1). Une autre caractéristique importante des séquences est leur emboîtement à plusieurs échelles d'observation (caractère fractal): ceci a donné lieu à une hiérarchisation des séquences avec la définition de séquences d'ordre 1, 2, 3, 4,... d'épaisseur décroissante et de fréquence croissante.

Enfin, je voudrais rappeler que l'on doit voir en A. Lombard, naguère professeur à l'ULB, un précurseur dans le domaine de l'étude des séquences et des corrélations stratigraphiques basées sur leur identification: la séquostratigraphie (cf. Errera, 1976).

Fig. I.1: schématisation d'une séquence élémentaire régressive classique.

SEQUENCES ET ENVIRONNEMENTS CARBONATES

L'identification des séquences en environnement carbonaté doit être faite dès le levé de terrain. C'est lors du banc par banc que se révèlent les divers types de surfaces remarquables: fonds durcis, limites érosives, changement brutal de faciès qui soulignent en général les limites de séquences. Après l'examen pétrographique et la définition des faciès et microfaciès, l'examen de la "courbe lithologique" aide aussi à l'identification des séquences.

La courbe lithologique

Cette courbe reflète la succession verticale des différents faciès ou termes lithologiques ou microfaciès d'une coupe. Elle est construite très simplement de l'une des façons suivantes:

- en regard de chaque banc ou unité faciétale, on trace un trait de l'épaisseur de ce banc ou unité avec comme abcisse le type de (micro)faciès (Fig. I.2A);

- en regard du point d'échantillonnage, on porte un point correspondant au microfaciès identifié en lame mince; les différents points sont ensuite reliés par une courbe (Fig. I.2B);

- on peut aussi matérialiser les microfaciès par des batonnets; ceci permet d'affecter une variable supplémentaire au type de trait (pointillé, plein, etc.) (Fig. I.2C).

Fig. I.2: plusieurs représentations de la courbe des microfaciès. La technique C permet d'affecter une variable supplémentaire au type de trait.

Cette courbe, qu'elle soit constituée de segments de droite comme dans le premier cas ou qu'elle relie des points comme dans le second constitue la courbe lithologique de la série étudiée. L'étude de cette courbe permet de (1) mettre en évidence les coupures sédimentaires (en fait les évolutions sédimentologiques pour lesquelles la loi de Walther (1894) n'est pas respectée: on voit se succéder deux faciès qui ne coexistent pas latéralement dans le domaine de sédimentation, ex: calcaire argileux à brachiopodes succédant à du calcaire algo-laminaire, etc.) et (2) de mettre clairement en évidence le sens de l'évolution des faciès: tendance à se rapprocher (régression) ou à s'éloigner (transgression) de la ligne de rivage. On parlera dans ce cas de séquences respectivement régressives et transgressives.

Lors de la construction de la courbe lithologique, l'ordre des faciès sur l'axe x n'est pas arbitraire: si l'on désire comparer les courbes lithologiques de deux coupes contemporaines mais de faciès différent ou si l'on entend étudier le sens des variations de faciès au sein des séquences, il faut impérativement que l'ordre des faciès soit choisi en fonction d'une même logique. Cette logique peut être la granulométrie (la pesanteur), c'est la cas de la "série virtuelle générale" de Lombard, avec les termes suivants: calcaires-argiles-silts-sables-conglomérats, mais elle peut aussi, par l'intermédiaire d'une interprétation actualiste reposant sur la loi de Walther, être celle de la succession des faciès au sein d'un modèle de plate-forme (par exemple les SMF, voir plus haut). Il est également possible d'utiliser la notion de "multiples séries naturelles" proposée par Delfaud (1972, p. 595): "Chaque formation ou chaque type de sédiment a sa série naturelle propre qui doit être établie indépendamment des théories génétiques, en considérant uniquement l'ordre réel de succession des faciès dans la nature, en faisant abstraction le plus possible des modifications diagénétiques". Cet "ordre réel" peut être défini de la manière suivante: dans toute série sédimentaire, l'ordre naturel des termes lithologiques est celui qui est statistiquement le plus fréquemment réalisé. Diverses méthodes statistiques peuvent aider à mettre en évidence un tel ordre.

Types de séquences

Les séquences peuvent être caractérisées par le sens d'évolution des faciès qui les constituent: il existe ainsi, nous l'avons vu, des séquences régressives et transgressives. Suivant l'environnement de dépôt, ces séquences régressives et transgressives sont évidemment constituées de successions de faciès différents. On trouve dans la littérature un certain nombre de séquences "classiques", par exemple: séquences péritidales, séquences d'arrière-récif, etc. On caractérise souvent ces séquences par une expression soulignant la variation d'un paramètre sédimentologique: "coarsening upward", "thickening upward", "fining upward", etc.

Notons que les turbidites et les tempestites constituent également des séquences, mais dont la mise en place a un caractère instantané par rapport à l'histoire du milieu de dépôt: ces séquences n'enregistrent donc pas d'évolution temporelle de l'environnement.

Si l'on envisage l'évolution des séquences au sein d'un corps sédimentaire, toujours par rapport à la paléoligne de rivage, il est possible de distinguer trois types de successions (Fig. I.3):

- des successions rétrogradantes (rétrogradation) où les séquences sont en translation vers le domaine continental. Ces successions sont caractérisées généralement par un amincissement progressif et l'occurence de plus en plus fréquente de faciès distaux;

- des successions progradantes (progradation) où les séquences sont en translation vers le bassin. Ces successions sont caractérisées par un épaississement progressif et l'augmentation des faciès proximaux;

- des successions aggradantes (aggradation) où les séquences sont en empilement vertical, en position relative déplacée soit vers le continent, soit vers le bassin.

Fig. I.3: successions progradante, rétrogradante et aggradante par rapport à la paléoligne de rivage.

Corrélations séquentielles

Par rapport aux corrélations lithostratigraphiques, les corrélations séquentielles (séquostratigraphiques) ont l'immense avantage de s'affranchir des faciès et de représenter des lignes temps valables à l'échelle d'un bassin. Encore faut-il s'assurer que les séquences que l'on observe résultent de phénomènes régionaux et non locaux: des séquences de comblement d'un chenal par exemple ne sont pas des phénomènes à l'échelle d'un bassin. Nous verrons ci-dessous que ce problème de "l'échelle des causes" se pose pour la définition des "paraséquences".

Pour fixer les idées sur un exemple concret, il suffit de penser aux diverses séquences générées par une régression marine mineure:

- en milieu littoral, on aura par exemple une succession du type boue lagonaire bioturbée, surmontée de laminites algaires (=séquence régressive, probablement de type "thining upward");

- en plate-forme externe, on pourrait observer des sables bioclastiques à crinoïdes surmontés de faciès récifaux (=séquence régressive, de type coarsening upward);

- plus au large, on pourrait avoir des boues à organismes pélagiques passant à des faciès bioclastiques d'avant-récif (=séquence régressive, ici encore de type coarsening upward).

On le voit, un même phénomène a des conséquences variées sur l'évolution des sédiments, en fonction du milieu de départ, mais partout, l'évolution se fait dans le même sens: il s'agit d'une séquence régressive. La Fig. I.4 schématise les corrélations séquentielles entre trois coupes échelonnées du littoral à la plate-forme externe. Chacune des séquences est régressive et la succession est progradante. La différence entre les corrélations lithostratigraphiques (diachrones) et les corrélations séquentielles (synchrones) est évidente.

Il faut noter que les corrélations séquentielles sont facilitées lorsque l'on utilise des "motifs" caractéristiques, par exemple une séquence régressive suivie d'une séquence transgressive très affirmée, etc.

Fig. I.4: corrélations séquentielles et diachronisme des faciès. D'après Proust (1994).

STRATIGRAPHIE SEQUENTIELLE

Généralités (d'après Guillocheau)

La stratigraphie séquentielle est une méthode dont l'objectif est celui de la stratigraphie au sens éthymologique du terme: accéder aux relations géométriques et chronologiques à l'intérieur d'ensembles sédimentaires. Son propos est de définir des unités sédimentaires limitées par des surfaces à valeur temporelle qui correspondent à des périodes particulières de variations du niveau marin relatif. Ces variations, périodiques ou non, sommes des mouvements eustatiques, tectoniques (subsidence, déformations intraplaques,...) et des flux sédimentaires, ont des durées variées: de la dizaine de milliers d'années à plusieurs dizaines de millions d'années.

La stratigaphie séquentielle est résolument pluridisciplinaire et prédictive (localisation, caractéristiques et modélisation des différents corps sédimentaires). Elle représente un outil permettant de reconnaître et de quantifier les modalités de remplissage des bassins sédimentaires. Les concepts de la stratigraphie séquentielle, développés à partir de la stratigraphie sismique, ont été élaborés par un groupe de géologues de la compagnie Exxon (Vail, Posamentier, Jervey, Van Wagoner, Mitchum, Sangree,...) dans la fin des années septante et publiés en 1988.

Nature de l'enregistrement sédimentaire

Plusieurs ordres de variations du niveau relatif de la mer, correspondant à autant d'ordres de séquences de dépôts, sont enregistrés dans les séries sédimentaires. Elles différent (1) par leurs causes et donc (2) par leur durée, leur caractère périodique et leur amplitude. On peut distinguer:

- les séquences à haute résolution, comprenant les paraséquences (~ séquences génétiques de Guillocheau, mais voir remarque ci-dessous concernant les limites) et les groupements de paraséquences (~ groupements de séquences génétiques). Leur période est généralement de 20 Ka, 100 Ka, environ 400 Ka, 700-900 Ka. Leur genèse correspondrait à des variations des paramètres orbitaux de la terre (cycles dits de Milankovitch-Berger). L'origine des 700-900 Ka reste néanmoins inconnue;

- les séquences apériodiques de durée supérieure au million d'années:

  • "3e ordre": 1-5 Ma;
  • "2e ordre": 3-15 Ma, correspondant probablement à une combinaison de mouvements eustatiques et tectoniques (subsidence régionale, déformations intraplaques);
  • "1e ordre": 10-50 Ma.

Notion d'accommodation: contraintes stratigraphiques

Un des apports majeurs des concepts développés par Exxon est la notion d'"accommodation". Il s'agit de l'espace disponible à tout instant pour piéger, en domaine marin, les sédiments. Le paramètre le plus fondamental est en réalité la vitesse de création ou de suppression de l'espace disponible ou potentiel d'accommodation, représenté par la dérivée première de la courbe de variation du niveau marin relatif. Les points critiques sont, non pas les minima et maxima, mais les points d'inflexion.

Au point d'inflexion de chute, la vitesse de création d'espace disponible est minimale. Il peut être minimal mais positif quand la vitesse de subsidence est supérieure à la vitesse de chute du niveau de la mer. Il est négatif dans le cas contraire. La tendance du système littoral est à la progradation maximale avec simple transit ou érosion en domaine continental. Au point d'inflexion de montée, la vitesse de création d'espace disponible est maximale. La tendance du système littoral est à la rétrogradation/aggradation verticale maximale. Ces contraintes stratigraphiques sont valables quelque soit la fréquence de la variation du niveau marin relatif et donc quelque soit l'ordre des séquences.

Les séquences haute résolution ou paraséquences (20-400 Ka)

Les paraséquences sont les plus petites séquences de dépôts corrélables à l'échelle d'un bassin sédimentaire. Leur épaisseur est comprise entre 1 et 10 m. Leur durée est variable et comprise entre 20 et 900 Ka. Elles sont définies, en milieu marin entre deux surfaces de première inondation ou surfaces de transgression (Fig. I.6). Elles sont proches des séquences génétiques de Guillocheau, la différence résidant dans les surfaces les délimitant qui sont dans ce cas les surfaces d'inondation maximale.

Les paraséquences sont les briques élémentaires de la stratigraphie: c'est à cette échelle qu'est contrainte la géométrie des environnements sédimentaires. Les règles de variation d'accommodation sont également applicables à cette échelle.

Fig. I.6: schématisation de concepts de la stratigraphie séquentielle.

Les séquences de dépôt ("unconformity bounded-units") de durée supérieure à 1 Ma

Les séquences de dépôt sont des unités stratigraphiques composées d'une succession relativement conforme de strates génétiquement liées et limitées à leur sommet et à leur base par des discordances ("unconformities") et leurs surfaces corrélatives. Leur épaisseur est décamétrique à pluridécamétrique, leur durée est comprise entre 1 et 5 Ma (Figs. I.5, I.6).

Suivant les variations de potentiel d'accommodation, plusieurs types de surfaces remarquables délimitant des corps de géométrie différente (ce sont les "cortèges de dépôt" ou "systems tracts") peuvent être définis (Figs. I.5, I.6, I.7). La période d'accommodation minimale (point d'inflexion de chute) induit une surface d'érosion en domaine continental ("unconformity") et un déplacement brutal des faciès continentaux vers la mer ("downward shift") (Fig. I.5.1 & 2). La surface de transgression ou de première inondation ("flooding surface", FS) est le point d'inversion entre une tendance à la progradation et une tendance à la rétrogradation (Fig. I.5.3). La surface d'inondation maximale ("maximum flooding surface", MFS) est le point d'inversion entre une tendance à la rétrogradation et une tendance à la progradation (Fig. I.5.4). Le prisme de bas niveau ou de bordure de plate-forme, progradant ("lowstand systems tract", "shelf margin systems tract") est compris entre l'"unconformity" et la surface de première inondation (Fig. I.5.5). Le cortège transgressif, rétrogradant ("transgressive systems tract") est délimité par la surface de première inondation et la surface d'inondation maximale. Le prisme de haut niveau, aggradant puis progradant ("highstand systems tract") est compris entre la surface d'inondation maximale et l'"unconformity". Grâce aux surfaces à valeur temporelle ("unconformity" et maximum d'inondation), le modèle de dépôt ainsi construit permet d'associer simplement lithostratigraphie et chronostratigraphie.

Le modèle d'Exxon est donc un modèle simple qui marque une révolution conceptuelle. Il a une valeur de guide mais il n'est pas une réalité universelle. En particulier, il intègre une marge passive: la subsidence croît avec la profondeur; le profil de dépôt est simple: il n'intègre ni barrière, ni domaine marin restreint et surtout, il n'a pas encore été vraiment validé sur les systèmes carbonatés.

 

Fig. I.5: représentation schématique du modèle de stratigraphie séquentielle d'Exxon. Le prisme de bordure de plate-forme se développe à la place du prisme de bas niveau quand la chute de niveau marin ne dénoie pas la plate-forme.

Fig. I.6: variations du niveau marin, surfaces remarquables et cortèges de dépôt dans le modèle d'Exxon.

L'identification des différents ordres de séquences emboîtées

C'est une des difficultés fondamentales de la stratigraphie séquentielle. La solution passe par l'étude des modalités d'empilement des paraséquences (le "stacking pattern"). Le principe est de repérer sur la courbe lithologique les plus petits cycles de déplacement des milieux de sédimentation (cycles transgression-régression): ils correspondent probablement aux paraséquences. Les lissages successifs de cette courbe permettent de faire apparaître les séquences d'ordre inférieur. Les surfaces remarquables sont définies de la manière suivante:

- surface d'inondation maximale: c'est la surface correspondant aux milieux les plus profonds ou les plus proches du domaine marin;

- surface de transgression ou de première inondation: surface située au-dessus des milieux les moins profonds ou situés le plus près de la terre;

- "unconformity": accélération de la migration des milieux vers la mer (en domaine marin, accélération de la diminution de profondeur).

Sur une coupe verticale, plusieurs ordres de séquences emboîtées peuvent généralement être mis en évidence. Les corrélations se font sur base des surfaces d'inondation maximale de même ordre. L'intérêt de cette méthode est double:

- elle est résolument sédimentologique et sa fiabilité est dépendante de la précision de la zonation de milieu utilisée (précision de la série virtuelle). Elle ne présage pas de la nature d'une surface en fonction de son expression lithologique (par exemple toute surface d'érosion est une unconformity). C'est la position d'une surface dans une évolution verticale de milieu qui permet de qualifier cette surface;

- elle permet une calibration en temps des séquences de dépôts. En effet, les paraséquences tombent généralement dans une des gammes de fréquence des cycles de Milankovitch, 20, 100, 400 Ka. Selon la position de la paraséquence dans le rapport d'emboîtement des cycles de Milankovitch (1:5:4), il est possible de connaître leur fréquence et donc, par dénombrement, de connaître la durée des séquences d'ordre inférieur.

Une autre méthode est fournie par l'interprétation des diagrammes de Fischer ("Fischer plot"). Cette méthode (Fischer, 1964) permet de déterminer la séquence de dépôt de 3e ordre et d'en suivre les variations en fonction du temps. La courbe de Fischer (Fig. I.7) représente l'épaisseur cumulative des cycles (axe vertical) en fonction du temps (axe horizontal). Cette méthode implique nécessairement que chaque cycle représente un intervalle de temps constant et que la série de cycles analysée s'est déposée pour une même valeur de la subsidence. La ligne qui relie la base de la section stratigraphique au temps zéro correspond alors au vecteur de la subsidence moyenne. Les cycles individuels sont reportés en fonction de leur niveau stratigraphique au-dessus de ce vecteur de subsidence.

L'interprétation des courbes de Fischer donne alors les variations de l'espace d'accommodation en fonction du temps. La succession des cycles épais, correspondant à une pente positive, reflète donc une augmentation de l'espace d'accommodation induite par une élévation du niveau marin relatif, tandis que l'empilement de cycles peu épais, en pente négative, reflète au contraire une réduction de cet espace lors d'une diminution relative du niveau marin. L'interprétation de ces courbes doit être cependant menée avec grande précaution, surtout quand il s'agit de cycles mixtes subtidaux et péritidaux. L'épaisseur des cycles subtidaux s'avère en effet contrôlée par le taux de sédimentation plutôt que par l'espace d'accommodation au contraire des cycles péritidaux. La courbe de Fischer souligne alors les variations apparentes du niveau marin engendrées par des variations de la profondeur d'eau liées au taux de sédimentation plutôt qu'aux variations de l'espace d'accommodation. Afin d'éviter toute mauvaise interprétation, il convient donc de tenir compte dans chaque cas de la composition des cycles par rapport aux variations que présente la pente de la courbe de Fischer.

Figure I.7: A: construction d'un diagramme de Fischer. B: diagramme de Fischer de la coupe de Wellin, d'après Kasimi, 1993. C: séquences de 3e ordre dans le Dévonien moyen du bord sud du Synclinorium de Dinant. Les séquences 3- 10 définies dans la coupe de Wellin ont été reportées sur la courbe de 3e ordre. D'après Kasimi, 1993.

 Le cortège régressif

Plusieurs chercheurs, dont Plint & Nummedal (2000) ont mis en évidence l'existence d'un cortège supplémentaire: le cortège régressif ("falling stage systems tract", FSST), enregistrant des dépôts pendant une phase de baisse du niveau marin ("régression forcée"). Ce cortège est en fait le pendant du cortège transgressif et s'intercale entre le cortège de haut niveau et le cortège de bas niveau. Si l'on compare le schéma "classique" d'Exxon (Fig. I.5) et le modèle de Plint & Nummedal (Fig. I.8), on constate que le cortège régressif reprend une partie des dépôts du cortège de haut niveau (depuis le début de la chute du niveau marin jusqu'au "downward shift") et une partie des dépôts du cortège de bas niveau (du "downward shift" au point le plus bas du niveau marin).

Comme pour les autres cortèges, l'identification du cortège régressif est basée sur sa position dans la séquence de dépôt, le mode d'empilement des séquences d'ordre inférieur et la géométrie des corps sédimentaires. Le cortège régressif est le seul cortège dont les unités successives s'avancent de moins en moins loin vers le continent ("offlapping"); sa base correspond en pratique à la première séquence d'ordre inférieur qui montre une surface d'érosion marine à sa base; son sommet correspond à la surface d'émersion majeure (limite de séquence) sur laquelle se dépose le prisme de bas niveau.

Fig. I.8: intégration du cortège régressif ("CR" ou "FSST") dans le modèle de stratigraphie séquentielle. D'après Plint & Nummedal (2000).

Des pistes pour l'interprétation des systèmes carbonatés

Historiquement, le modèle de stratigraphie séquentielle d'Exxon a été développé en environnement siliciclastique. L'adaptation des concepts et méthodes de la stratigraphie séquentielle à la plate-forme carbonatée a été plus tardive et disons-le, plus laborieuse. Ce n'est pas étonnant, puisqu'à la logique énergétique s'ajoute toute la complexité du monde vivant. En conséquence, de nombreux problèmes sont restés en suspens et n'ont pas encore trouvé de réponse satisfaisante.

Il semble que les variations de l'accommodation revètent une importance considérable pour les systèmes carbonatés, notamment par une forte influence sur l'évolution des écosystèmes. Au sein des communautés, les individus subissent des gradients de stress au cours des cycles de variation de l'accommodation avec des conséquences sur la sélection naturelle. Des communautés pionnières tendent à se développer lors de l'augmentation de l'accommodation (avec production accrue de matière organique), des communautés climax se développent lors de sa diminution (avec production accrue de carbonate squelettique). Les récifs et constructions carbonatées tendent ainsi à se développer au cours d'une diminution de l'accommodation à plus long terme, surimposée à des cycles de fréquence plus élevée. Lors d'une augmentation de l'accommodation à plus long terme, le remplacement des écosystèmes récifaux par des communautés pionnières, de moindre diversité, peut expliquer des paradoxes tels que l'ennoyage des plates-formes carbonatées et la vulnérabilité des écosystèmes matures.

Une application de la stratigraphie séquentielle à la géométrie des atolls a été tentée par Handford & Loucks (1993) (Fig. I.10).

Fig. I.10. Géométrie d'un atoll au cours d'un LST, TST et HST. Durant le LST, un récif frangeant se développe et des phénomènes karstiques affectent la plate-forme interne. Durant le TST, la croissance récifale ne peut équilibrer la hausse du niveau marin qu'en périphérie de la plate-forme et une couronne atollienne se développe; les sédiments sont exportés sur les flancs sous le vent; des sédiments fins se déposent dans le lagon. Durant le début du HST, la diminution de l'accomodation provoque une augmentation de l'exportation des sédiments; ensuite, l'émersion fréquente de la plate-forme amène une diminution de la productivité.

Qu'en penser?

L'existence de controverses quant à l'interprétation des séquences montre que la stratigraphie séquentielle est un domaine en développement qui n'a pas encore atteint sa pleine maturité. Il s'agit cependant d'un outil très prometteur pour l'interprétation de l'évolution des bassins. Son application doit être effectuée avec prudence, particulièrement en ce qui concerne les environnements carbonatés.

Pour en savoir plus

  • http://strata.geol.sc.edu/
  • S. Ferry, 1991. Une alternative au modèle de stratigraphie séquentielle d'Exxon: la modulation tectono-climatique des cycles orbitaux. Géologie alpine, mémoire hors-série, 18, 47-99.
  • P. Homewood, 1996. The carbonate feedback system: interaction between stratigraphic accommodation, ecological succession and the carbonate factory. Bull. Soc. Géol. France, 167, 6, 701-715.
  • C.R. Handford & R.G. Loucks, 1993. Carbonate depositional sequence and system tracts-responses of platform to relative sea-level change. In: R.G. Loucks & J.S. Sarg, eds., Carbonate sequence stratigraphy, Mem. Am. Assoc. Petrol. Geol., 57, 3-41.
  • A. Izart & D. Vachard, 1994. Subsidence tectonique, eustatisme et contrôle des séquences dans les bassins namuriens et westphaliens de l'Europe de l'ouest, de la CEI et des USA. Bull. Soc. Géol. France, 165, 5, 499-514.
  • A.G. Plint & D. Nummedal, 2000: The falling stage systems tract: recognition and importance in sequence stratigraphic analysis. In: D. Hunt & R.L. Gawthorpe (eds.): Sedimentary response to forced regressions. Geol. Soc. London Sp. Publ., 172, 1-17.
  • J-N. Proust, 1994. Notions élémentaires de stratigraphie séquentielle illustrées par un exemple. Ann. Soc. Géol. Nord, 3 (2e série), 5-25.
  • J.C. Van Wagoner, H.W. Posamentier, R.H. Mitchum, P.R. Vail, J.F. Sarg, T.S. Loutit, & J. Hardenbol, 1988. An overview of the fundamentals of sequence stratigraphy and key definition. In: C.K. Wilgus, ed., Sea-level changes-An integrated approach. S.E.P.M. Sp. Publ., 42, 39-45.

D'un point de vue historique:

  • M. Errera, 1976. La séquostratigraphie: développement théorique et application au Givetien franco-belge. Thèse de doctorat, ULB, 401 pp. (Non publié).
  • A. Lombard, 1972. Séries sédimentaires -genèse -évolution. Masson, 425 pp.

 

II. Diagenèse carbonatée

INTRODUCTION

La "diagenèse" se rapporte à l'ensemble des modifications physico-chimiques que subit un sédiment, après dépôt, dans les conditions de pression et température "faibles" qui règnent en environnement de sub-surface. La diagenèse n'englobe pas les modifications du sédiment liées uniquement aux facteurs biologiques (bioturbation, bioérosion) et s'arrête là où commence le métamorphisme. Pour dissiper l'impression d'incertitude qui se dégage de cette frontière qualitative, disons qu'en pratique, dans l'étude de faciès carbonatés, la diagenèse traite de problèmes de cimentation, dissolution, recristallisation et remplacement affectant les phases carbonatées, siliceuses ou sulfatées.

Ces dernières années, de nombreuses études de bioconstructions paléozoïques d'Europe, des Etats-Unis, d'Australie et du Canada ont traité de ce sujet, suite à l'intérêt des compagnies pétrolières pour tous les phénomènes intervenant dans la formation et l'évolution des réservoirs. Ces travaux s'attachent principalement à préciser la nature et l'origine des divers types de ciments qui se succèdent dans les cavités. Ces séquences peuvent ensuite être interprétées en termes d'évolution du milieu de diagenèse: "Chaque milieu principal (sous-marin, littoral et continental) se caractérise par une diagenèse distincte conditionnée à la fois par la qualité des eaux parentales et par le degré de saturation" (Purser, 1980 p. 342). L'étude diagénétique s'inscrit donc aussi dans un cadre de reconstitution des paléoenvironnements d'enfouissement.

PROCESSUS DIAGENETIQUES (RAPPEL)

Les principaux processus diagénétiques sont la cimentation, la dissolution, la recristallisation et le remplacement.

- La cimentation correspond à la précipitation de matière sur un substrat et à l'accroissement progressif des cristaux ainsi formés. La cimentation a pour conséquence la disparition progressive de la porosité.

- La dissolution d'un substrat ou d'une phase diagénétique préexistante a évidemment comme conséquence une augmentation de la porosité. Ce phénomène joue à diverses échelles, depuis celle du système karstique jusqu'à la porosité intraparticulaire. Un processus de dissolution implique toujours le passage par une étape où existe un vide: ce vide peut être ensuite rempli par des sédiments internes, cimenté...

- La recristallisation implique un changement de cristallinité de la phase préexistante, sans modification chimique. Exemples: augmentation de la taille moyenne des cristaux par coalescence dans une masse déjà cristallisée; "inversion" de l'aragonite en calcite: l'aragonite (d=2,94) étant 8% plus dense que la calcite (d=2,71), du CaCO3 est dès lors disponible pour des processus de cimentation).

- Le remplacement implique quant à lui, non seulement un changement de cristallinité, mais également un changement chimique d'un substrat préexistant. La dolomitisation dite secondaire en est un exemple fréquent, comme la silicification. Notons que les minéraux constituant les éléments figurés peuvent être remplacés sans que leur morphologie soit affectée.

CRISTALLOCHIMIE DES CARBONATES

Je ne reprends ici que quelques notions fondamentales. Le sujet est taité de manière plus exhaustive dans Lippmann (1973).

La calcite

On peut considérer la calcite comme un cristal ionique formé du cation Ca2+ et de l'anion CO3=, étant donné que la distance Ca-O (2,36 Å) est proche de la somme des rayons ioniques; le lien O-O (2,22 Å) par contre est nettement plus petit que 2 rayons ioniques de l'oxygène: ceci implique évidemment une liaison partiellement covalente. On peut calculer l'énergie réticulaire de la calcite en se basant sur ce modèle ionique: le calcul donne une valeur très proche des résultats expérimentaux de 701 kcal/mole.

Ceci étant, on peut se représenter la calcite comme une interstratification de couches de Ca++ et de CO3= perpendiculairement à l'axe ternaire. Cet axe de symétrie impose au groupement CO3= une disposition en triangle équilatéral. Le centre de symétrie impose quant à lui un changement d'orientation de ces triangles de part et d'autre des couches de Ca++. Si l'on représente la calcite par un empilement de sphères, on constate que: chaque Ca++ est en coordination octaédrique avec six oxygènes; chaque Ca++ est ainsi lié à six groupements CO3=++ n'est jamais lié à deux oxygènes du même groupement anionique (Fig. II.1). différents, autrement dit, un Ca

Fig. II.1: représentations de la structure cristalline de la calcite.

Superstructures basées sur le canevas de la calcite

- Interstratifications régulières: la dolomite, la huntite.

On peut considérer que la dolomite est constituée d'une interstratification régulière de couches de CO3=, Ca++, Mg++. En voici les principaux arguments: (1) la composition de la dolomite est bien définie, donc, Ca et Mg ne peuvent être répartis au hasard dans son réseau; (2) le diffractogramme X de la dolomite présente plus de raies que celui de la calcite. Ce sont les raies dites de superstructure; le modèle interstratifié permet de calculer les familles de plans réticulaires responsables de ces raies de superstructure. Beaucoup de cristallochimistes définissent d'ailleurs la dolomite comme étant un minéral de composition CaMg(CO3)2 possédant des raies de superstructure.

La huntite Mg3Ca(CO3)4 est un minéral rare trouvé en masses polycristallines submicroscopiques comme produit d'altération de roches riches en Mg et dans des sédiments récents supratidaux en voie de dolomitisation. On pense qu'il pourrait jouer un rôle important comme précurseur de la dolomite. La structure est similaire à celle de la calcite: dans chacune des couches cationiques, Ca et Mg sont répartis régulièrement.

- Structures désordonnées: calcite magnésienne, dolomite calcique

Calcite Mg: on ne trouve pas de calcite Mg dans des sédiments pré-tertiaires: il s'agit donc d'un minéral relativement peu stable. L'introduction de Mg dans le réseau de la calcite a pour effet de diminuer les distances entre plans réticulaires. Les raies de diffraction sont donc déplacées vers des valeurs angulaires plus élevées ( nl=2dsinq ). On a une relation linéaire entre les paramètres a et c de la calcite et le % de Mg dans le réseau.

Les dimensions d'une calcite 50% Mg sont identiques à celles de la dolomite, mais seule cette dernière possède des raies de superstructure. Le Mg est donc incorporé de manière désordonnée.

Dolomite calcique: ce sont des dolomites (raie de superstructure) dont la composition varie de 40 à 50 moles% de Mg. On constate que l'intensité des raies de superstructure diminue lorsque l'on s'écarte de la composition idéale de la dolomite; mais cette baisse d'intensité devrait être beaucoup plus importante si l'écart à la composition était entièrement dû à une augmentation du désordre dans les couches cationiques individuelles. Aussi pense-t-on que l'écart de composition est lié à un excès de plans Ca++ par rapport aux plans Mg++.

La dolomite calcique est un minéral relativement courant. Certains auteurs pensent que la répartition statistique des deux types de dolomite serait la suivante:

"well ordered dolomites" en milieu évaporitique et diagénétique tardif;

"Ca-rich dolomites" en milieu marin franc et diagénétique précoce.

Notons que B. Purser (1980) pense que la plupart des dolomites actuelles sont des dolomites calciques et que la plupart des dolomites anciennes sont bien ordonnées. Aussi appelle-t-il "protodolomites" les dolomites actuelles.

Carbonates rhomboédriques de fer

Après la calcite et la dolomite, ce sont la sidérite FeCO3 et l'ankérite (CaFe)(CO3)22+; les carbonates de fer sont donc rarement primaires: ils indiquent une diagenèse en milieu réducteur. qui sont les minéraux carbonatés sédimentaires les plus abondants. Le Fe y est présent à l'état Fe

L'aragonite

La structure de l'aragonite est du type nickéline (NiAs): chaque Ca++ est entouré par six CO3= de manière prismatique, mais ce prisme est distordu de telle manière que le Ca++ n'a pas six, mais bien neuf oxygènes comme plus proches voisins (Fig. II.2). En raison de cette distorsion, la symétrie n'est qu'orthorhombique mais la macle pseudohexagonale de l'aragonite est une réminiscence de la structure NiAs.

Les distances O-O sont inférieures à celles de la calcite, on a donc un empilement plus compact; les groupements CO3= semblent identiques à ceux de la calcite; les distances Ca-O varient de 2,41 à 2,66 Å et sont toutes légèrement supérieures à celles de la calcite (2,36 Å).

Contrairement à ce qui se produit dans la calcite, le Ca++ de l'aragonite est lié à certains groupements CO3= par deux oxygènes. Cela a comme conséquence que seuls les gros cations peuvent entrer dans la structure de l'aragonite: un petit cation (comme Mg++ par exemple), serait "aspiré" dans l'interstice formé par deux oxygènes du groupement CO3= et ne pourrait plus se coordonner aux autres anions. Par ailleurs, dans la structure de l'aragonite, les anions et les cations s'alignent suivant l'axe c. C'est là une origine possible de la structure fibreuse de l'aragonite.

Fig. II.2. Structure de type NiAS de l'aragonite.

La vatérite

Citée pour mémoire, c'est la troisième forme de CaCO3. Elle n'a jamais été observée dans les sédiments. Ses occurences naturelles sont les calculs biliaires et certaines coquilles de gastéropodes. Ce minéral pourrait servir de précurseur dans la cristallisation des carbonates récents.

Les carbonates hydratés de magnésium et le problème de la magnésite

Les plus fréquents sont la nesquehonite MgCO3.3H2O et l'hydromagnésite Mg5(4)(CO3)4(3)(OH)2.4(3)H2O. On n'en connaît pas la structure.

Le "problème de la magnésite" est le suivant: c'est un minéral très stable en solution acqueuse (Ks=10-8) mais il ne se forme pas pour des raisons cinétiques. En effet, les cations en solution sont hydratés et, pour être incorporés dans un cristal anhydre, ils doivent consommer leur énergie d'hydratation: c'est ce qu'on appelle la barrière de déshydratation. A 25°C, la calcite cristallise 10.000.000.000 de fois plus vite que la magnésite. Il faut noter que cette vitesse de cristallisation n'est pas augmentée par la sursaturation en Mg.

Il n'existe pas de carbonates hydratés de fer et de manganèse. La sidérite et la rhodocrosite peuvent donc se former à partir de solutions sursaturées.

Les carbonates hydratés de calcium

La monohydrocalcite CaCO3.H2O est le plus important des carbonates hydratés de calcium. On l'observe principalement dans les lacs et les grottes. Du fait de la faible énergie de déshydratation du Ca++, elle n'a pas cet effet drastique d'interdire la précipitation du carbonate anhydre.

Les carbonates d'alcalins

Ils se forment principalement par évaporation des eaux continentales. Ce sont surtout des carbonates de Na car K est incorporé dans les argiles. Les occurrences dans les dépôts anciens sont rares mais existent néanmoins; la plus importante est celle de la Green River Formation d'âge éocène aux USA.

PETROLOGIE DES CARBONATES

Le système CaCO3

- Relations de stabilité de la calcite et de l'aragonite: l'aragonite est une phase de basse température et de haute pression par rapport à la calcite. D'autre part, l'aragonite (Ks=10-8,22) est plus soluble que la calcite (Ks=10-8,35) à 25°C et 1 atm.

 - Présence d'aragonite à l'état métastable en solution aqueuse:

  • En l'absence d'ions bivalents autres que Ca++: en solution aqueuse, la quantité de carbonate dissous dépend (1) de son produit de solubilité; (2) de la quantité de CO2 (PCO2) en solution. La quantité de CO2 en solution est gouvernée par les équilibres suivants: 
    • PCO2 /(CO3)= 101,47

      (H+).(HCO3-)/(H2CO3)=10-6,35

      (H+).(CO3=)/(HCO3-)=10-10,33 

  • Les deux méthodes classiques pour préparer CaCO3 en solution aqueuse sont (1) dissoudre un sulfate ou chlorure de Ca avec un carbonate de Na ou de NH4; (2) dissoudre du CaCO3 dans une eau saturée en CO2 et laisser précipiter le carbonate en laissant s'échapper le CO2. Lorsqu'on réalise ces expériences, on constate que la calcite et l'aragonite précipitent toutes deux (si la température est >50°C, de la vatérite précipite également). Les proportions de calcite et d'aragonite dépendent de la température. Contrairement à ce qu'on pourrait croire (cf. relations de stabilité), la proportion d'aragonite qui précipite augmente avec la température; mais ce phénomène peut fort bien s'expliquer comme suit: la barrière de déshydratation de l'aragonite est plus élevée que celle de l'aragonite. Il est donc plus facile de former des germes de calcite que d'aragonite. Cependant, une fois les germes formés, l'aragonite cristallise plus vite que la calcite. De fait, lorsqu'on ajoute des germes d'aragonite à une solution qui précipite principalement de la calcite, beaucoup d'aragonite se met à cristalliser. Inversement, lorsqu'on ajoute des germes de calcite à une solution qui précipite de l'aragonite, aucun changement ne se produit. DONC, si sa germination n'est pas entravée, l'aragonite, quoique plus soluble que la calcite, peut précipiter pour des raisons cinétiques.
  • Influence d'ions bivalents autres que Ca2+: la présence des gros cations (surtout Sr++) ne semble pas favoriser la précipitation de l'aragonite au dépens de la calcite. L'influence des petits cations (surtout Mg++) par contre est beaucoup plus importante: à 20°C, si Mg/Ca <2 à 3, c'est la calcite qui précipite; si Mg/Ca >2 à 3, c'est l'aragonite qui précipite. DONC, dans l'eau de mer ACTUELLE (Mg/Ca=5), le CaCO3 d'origine chimique est de l'aragonite. Quant à l'évolution de la teneur en Mg dans la phase solide, elle évolue jusqu'à une valeur de 5 % dans la calcite; passé ce stade, la calcite cesse de cristalliser et c'est une aragonite qui prend le relais. Pourquoi? Vu que les aragonites naturelles ne contiennent quasiment pas de Mg et qu'il n'existe pas de MgCO3 à structure aragonite, on pourrait effectivement croire que le Mg favorise la précipitation de la calcite; or, on vient de voir que c'est l'inverse qui se produit... Ce phénomène est expliqué par la forte énergie de déshydratation du Mg: la calcite admet des Mg++ dans son réseau. Lorsqu'ils se lient à des oxygènes du germe de calcite, les ions Mg++ ne se débarrassent pas totalement des molécules d'eau auxquelles ils sont fortement liés. Vient un moment (Mg/Ca=5/100 dans le cristal) où les anions C03= ne peuvent plus prendre la place des molécules d'eau adsorbées à la surface du cristal: la cristallisation est bloquée. L'aragonite n'admettant pas de Mg++ dans son réseau, elle n'est donc pas sujette à pareille "contamination".

- La formation de calcite et d'aragonite dans les organismes: on constate que le substrat organique peut déterminer laquelle des deux phases précipite. Pourquoi? Deux possibilités: (1) la concentration en Mg dans les biofluides peut être différente de celle de l'eau de mer; (2) toute une série de composés organiques peuvent agir en complexant le Mg++, en s'adsorbant sur les germes d'aragonite, etc.

- Persistance et transformation de l'aragonite: l'aragonite est une phase métastable, on ne trouve presque pas d'aragonites plus anciennes que le Tertiaire. Quelles sont les conditions d'inversion de l'aragonite:

  • à sec: il faut des températures d'au moins 400°C pour que la vitesse de transformation soit perceptible. En extrapolant les courbes obtenues à ces températures élévées, on calcule qu'à 25°C, le temps de conversion de l'aragonite en calcite doit être de plusieurs dizaines de millions d'années. C'est en effet dans des milieux anhydres qu'ont été trouvées les aragonites les plus anciennes: asphaltes et schistes bitumineux carbonifères;
  • en solution acqueuse: à 100°C et en eau pure, la transformation de l'aragonite en calcite ne prend qu'une journée.
  • influence d'ions étrangers sur la transformation d'aragonite en calcite en solution acqueuse: le principal inhibiteur de la transformation de l'aragonite en calcite est le Mg++. L'aragonite peut donc persister indéfiniment en eau de mer riche en Mg++. Les eaux continentales étant elles, riches en CO2 et pauvres en Mg++, l'aragonite se transforme en calcite (on suppose bien entendu que ces eaux sont saturées en Ca++).

Signalons le rôle important de la transformation aragonite-calcite dans la lithification du sédiment: cette transformation s'accompagne en effet d'une réduction des pores de 7,5%.

Le système CaCO3-MgCO3

Le "problème de la dolomite". La plupart des affleurements de dolomite consistent en masses monominérales dont les dimensions s'échelonnent depuis des bancs centimétriques intercalés entre des niveaux de calcaire ou d'argile jusqu'à des massifs gigantesques.

L'origine de la dolomite est un problème qui n'est cependant pas vraiment résolu: en effet, on n'est jamais parvenu à synthétiser de la dolomite aux conditions de pression et température voisines de celles des milieux sédimentaires. On a longtemps cru que les sédiments récents étaient totalement dépourvus de dolomite. L'usage des X a permis de montrer qu'il n'en était rien; cependant, la dolomite est beaucoup moins abondante dans les sédiments récents que dans les sédiments anciens et il s'agit de très petits cristaux de dolomite calcique. Ceci tendrait à indiquer que la dolomite ne précipite pas directement à partir de l'eau de mer, mais se forme par réaction de solutions dérivées de l'eau de mer avec l'aragonite et la calcite. Récemment (Burns et al., 2000), une hypothèse de formation de la dolomite par médiation bactérienne a été remise à l'honneur.

- La dolomite en solution acqueuse: synthèse hydrothermale de la dolomite

En 1968, on est parvenu à synthétiser la dolomite selon la réaction:

2 CaCO3 + MgCl2 ® CaMg(CO3)2 + CaCl2

à des températures de 120°C et plus. L'auteur de cette synthèse conclut que la réaction à basse température est possible mais qu'elle se déroule très lentement.

Vu les résultats obtenus ci-dessus, il peut être tentant de penser que les formations dolomitiques ont une origine hydrothermale. Mais des observations de géologie régionale montrent que ce type de genèse ne peut être généralisé à l'ensemble des formations dolomitiques.

- La solubilité de la dolomite à 25°C

La dolomite ne pouvant être synthétisée à 25°C, sa solubilité à cette température doit être déduite d'expériences de dissolution. Ces expériences montrent que l'eau de mer est considérablement sursaturée en dolomite et que thermodynamiquement, seule la dolomite devrait y précipiter. Or, il n'en est rien: elle ne précipite pas pour des raisons de cinétique; les expériences de synthèse de la norsethite permettent d'entrevoir quelles sont ces raisons cinétiques (voir ci-dessous).

- La synthèse de la norsethite: un modèle pour la formation de dolomite à basse température

La norsethite BaMg(CO3)2 est un carbonate de structure proche de la dolomite. Les expériences de synthèse ont montré que si l'on immerge du BaCO3 dans des solutions de MgCl2, aucun cristal de norsethite ne se forme. Par contre, si l'on ajoute du carbonate (sous la forme de NaHCO3 par exemple) à de telles solutions, on voit apparaître des cristaux de norsethite quelques heures ou quelques jours après l'opération. En outre, lorsque le Mg est fourni sous la forme de MgCO3.3H2O, de la norsethite se forme jusqu'à épuisement du Ba de la solution: les ions CO3=++ au fur et à mesure de la progression de la réaction. Le mécanisme de la norséthisation est le suivant: sont en effet fournis en même temps que le Mg

BaCO3 (solide) ® Ba+++ CO3=

Ba+++ Mg+++ 2 CO3= ® BaMg(CO3)2 (solide)

Au point de vue cinétique, on constate que la vitesse de formation de la norsethite est accélérée par (1) un faible Ba/Mg et (2) une forte concentration en CO3=. L'influence de ces deux paramètres est expliquée très simplement par la barrière de déshydratation plus faible du Ba++: le rapport *Ba++/Ba++ est beaucoup plus grand que *Mg++/Mg++ (où *Ba++ et *Mg++ sont des ions activés, c-à-d possédant suffisamment d'énergie de translation et de vibration pour se débarrasser des molécules d'eau adsorbées et s'incorporer dans un germe de norsethite). Les ions Ba et Mg étant dans un rapport 1/1 dans un cristal de norsethite, un rapport *Ba++/*Mg++ proche de 1 dans la solution favorise la croissance cristalline. Ce rapport proche de 1 correspond à un faible Ba/Mg.

L'importance d'une concentration élevée en CO3= relève du même type de raisonnement: pour pouvoir s'incorporer dans un cristal de carbonate, un ion CO3= doit posséder assez d'énergie cinétique pour pouvoir chasser les molécules d'eau adsorbées au cristal. Au plus la concentration en CO3= est grande, au plus est grande la concentration en *CO3=. Une forte concentration en CO3= favorise donc la croissance du cristal.

- La formation de dolomite à basse température: la leçon à tirer des expériences de synthèse de norsethite est que la dolomite se forme par dolomitisation de CaCO33=. et que cette dolomitisation dépend d'un facteur essentiel: la concentration en CO

- Milieu de formation de la dolomite: on la trouve principalement en milieu littoral confiné; ce sont des milieux où l'évaporation et l'apport d'eau continentale peuvent être très importants. Il est capital de constater que l'évaporation seule ne permet pas d'expliquer la formation de la dolomite, comme elle explique la formation du gypse ou de la halite: la dolomite n'est pas un minéral évaporitique, même s'il est souvent associé à de tels milieux. Un milieu confiné est cependant indispensable pour permettre aux ions CO3= de s'accumuler, d'atteindre des concentrations supérieures à celles que l'on trouve dans l'eau de mer et donc de permettre la formation de dolomite. On peut distinguer deux sources principales de CO3=:

  • l'altération des régions continentales voisines qui fournit du CO3= sous la forme de NaHCO3, etc. On formera des dolomites dites inorganiques;
  • la réduction bactérienne des sulfates (SO4= + 2CH2O ® 2HCO3- + H2S) liée à la décomposition de la matière organique; se forment ainsi des dolomites organiques.

D'après Burns et al. (2000), ce dernier type de formation par l'entremise de bactéries anaérobies sulfato-réductrices serait très important. Outre l'apport de HCO3-, le métabolisme bactérien enrichit le milieu en Mg++ : en utilisant SO4=, les bactéries concentrent aussi dans le milieu intersticiel le magnésium, fortement lié à SO4= dans l'eau de mer. Ces deux types de dolomites sont, entre autre, caractérisées par une signature isotopique différente: les dolomites organiques sont déficientes en 13C. Ces conclusions sont corroborées par les observations des naturalistes: la dolomite se forme dans des eaux dérivées d'eaux marines (nécessité d'une forte concentration en Mg) dont la composition est modifiée par une importante activité organique ou par l'apport d'eaux continentales. On n'explique que difficilement pourquoi la dolomite est beaucoup plus abondante dans les roches anciennes que dans les roches récentes. Si la plupart des auteurs imputent cet état de chose au facteur temps, d'autres voient là une preuve d'un changement de composition de l'eau de mer depuis le Précambrien. C'est le cas de Burns et al. (2000), qui observent que les grandes périodes de formation de la dolomite (Ordovicien, Silurien, Crétacé) correspondent à des périodes de faible niveau d'oxygène dans l'atmosphère -et donc dans l'océan- peut-être à l'origine du développement plus important de communautés de bactéries anaérobies sulfato-réductrices dans le sédiment. Encore faut-il que ces pics de formation de dolomite correspondent à des dolomites organiques.

Synthèse

- Formation des calcaires d'eau douce: les eaux douces étant caractérisées par une faible teneur en Mg, elles peuvent précipiter directement de la calcite. Le facteur principal contrôlant cette précipitation est la pression en CO2. Dans le passé (Ordovicien, Silurien, Dévonien, Jurassique, Crétacé), des océans à teneur plus faible en Mg ont précipité également de la calcite.

- Evolution des calcaires marins: en milieu marin, la précipitation et la mise en solution des carbonates est compliquée par la présence de Mg (c'est le cas de l'océan actuel et aussi des océans carbonifère, permien et triassique). Les eaux marines sont sursaturées vis à vis de la dolomite et de la magnésite, mais la barrière de déshydratation du Mg et l'existence de carbonates hydratés de Mg empêche leur précipitation. Vu que l'aragonite ne peut incorporer de Mg dans son réseau, c'est pratiquement le seul carbonate à précipiter librement à partir des eaux marines lorsqu'il y a sursaturation en CaCO3. Le facteur principal contrôlant cette sursaturation semble être la température qui diminue la concentration du CO2 dissous. Le degré de sursaturation nécessaire pour que l'aragonite précipite dépend surtout de la disponibilité en germes. Les "whitings", c'est-à-dire les précipitations spontanées à partir d'eaux sursaturées semblent restreintes aux parties les plus chaudes des mers (Banc des Bahamas, par exemple). Des quantités d'environ 1% Sr sont incorporées dans les aragonites marines inorganiques.

Les conditions de formation des calcites Mg inorganiques ne sont pas bien connues. Les calcites Mg peuvent cimenter les pores des sédiments au même titre que l'aragonite mais la croissance de ces cristaux est beaucoup plus lente, de sorte que les calcites Mg précipitent surtout dans les eaux assez profondes, là où les conditions restent constantes pendant des temps assez longs. Au contraire, l'aragonite précipite en environnement chaud et peu profond. L'aragonite et la calcite Mg sont des phases métastables.

Les organismes sont capables de précipiter de l'aragonite, de la calcite Mg (avec un très large spectre de teneurs en Mg) et de la calcite. Les organismes sont donc la seule source de calcite non Mg en milieu marin, dans l'océan actuel évidemment (tableau II.1).

TAXON

Aragonite

 3) Calcite (mol% MgCO

Aragonite et calcite

ALGUES CALCAIRES

     
rouges
 
10-20
 
vertes
oui
   
coccolithes
 
5
 

FORAMINIFERES

     
benthiques
rare
5-15
 
planctoniques
 
5-17
 

EPONGES

rare
10-20
 

STROMATOPORES

oui
5?
 

COELENTERES

     
rugueux
 
5
 
tabulés
 
5
 
scléractiniaires
oui
   
alcyonaires
rare
10-20
 

BRYOZOAIRES

rare
5-17
rare

BRACHIOPODES

 
5-10
 

MOLLUSQUES

     
chitons
oui
   
lamellibranches
oui
5-10
oui
gastéropodes
oui
5-10
oui
ptéropodes
oui
   
céphalopodes
oui
   
bélemnites
 
5
 

ANNELIDES

oui
5-17
oui

ARTHROPODES

     
décapodes
 
7-12
 
ostracodes
 
5-10
 
barnacles
 
5-10
 
trilobites
 
5
 

ECHINODERMES

 
7-17
 
Tableau II.1: types de carbonates précipités par les principaux groupes d'organismes. D'après Scholle (1978), modifié.

Les phases métastables persistent tant que les pores du sédiment restent remplis d'eau de mer. Une cimentation sous-marine est possible par précipitation d'aragonite et de calcite Mg. Cette cimentation est due principalement à la réduction bactérienne des sulfates. En l'absence de lithification, les carbonates peuvent rester friables durant des millions d'années. Pour que l'aragonite et la calcite Mg se transforment en calcite, il faut que le Mg soit chassé des pores par la circulation d'eaux douces et/ou l'incorporation dans des phyllosilicates. La diagenèse tardive se fait par une dissolution des phases métastables et une précipitation de calcite. Les sédiments dépourvus de phase métastable (par exemple une lumachelle à tests en calcite non Mg) peuvent rester friables même après passage dans un environnement d'eau douce.

- La dolomitisation: malgré la sursaturation considérable, la dolomite ne précipite probablement pas à partir de l'eau de mer. La faible activité des ions CO3= ne peut contrecarrer l'effet de la barrière de déshydratation. Pour la même raison, l'eau de mer est incapable de réagir avec CaCO3 pour former de la dolomite. La solution dolomitisante doit avoir un rapport Mg/Ca élevé et une concentration élevée en CO3=. La réaction est:

CaCO3+ Mg+++ CO3= ® CaMg(CO3)2

Le Mg++, ubiquiste en milieu marin ou littoral ne constitue pas un facteur limitant pour la dolomitisation. Cette dolomitisation ne dépend que de la [CO3=]. La dolomite est donc un minéral se formant dans un environnement littoral confiné ou dans des lacs côtiers périodiquement envahis par la mer. Une autre source de CO3= est la réduction bactérienne des sulfates: elle permet d'expliquer la présence de la dolomite dans des environnements où tout apport d'eau continentale est exclu.

 

Aragonite

calcite non Mg

calcite Mg

Dolomite

Formule

CaCO3

CaCO3

CaCO3

CaMg(CO3)2

Système cristallin

orthorhombique

rhomboédrique

rhomboédrique

rhomboédrique

Eléments traces

Sr, Ba, Pb, K

Mg, Fe, Mn, Zn, Cu

Fe, Mn, Zn, Cu

Fe, Mn, Zn, Cu

Mol% MgCO3

-------

<4

>4 à <20

40-50

Indice de réfraction

0,155

0,172

0,172

0,177

Densité

2,94

2,72

2,72

2,86

Dureté

3,5-4

3

3

3,5-4

Habitus cristallin

aciculaire, fibreux, micritique

isométrique, micritique

aciculaire, fibreux, micritique

isométrique, micritique

Occurrence

marin peu profond

marin profond, météorique

marin peu profond

évaporitique

Tableau II.2: sélection de propriétés des principaux carbonates sédimentaires.

DIAGENESE PRECOCE ET ENVIRONNEMENTS DIAGENETIQUES (d'après Purser, 1973)

L'existence de divers phénomènes diagénétiques syn-sédimentaires comme la lithification est bien établie. Néanmoins, le rapport entre ces phénomènes et le milieu sédimentaire dans lequel ils se produisent est moins connu et on peut se demander si ce rapport est aussi étroit que celui existant entre le milieu et certains caractères initiaux des sédiments (composition, structure, faune et flore, etc.)

En termes de diagenèse, on peut définir trois environnements fondamentaux: les milieux infratidal, inter- et supratidal, continental.

Les facteurs les plus importants dans la diagenèse syn-sédimentaire de ces trois milieux sont d'une part, la composition de l'eau: eau de mer dans les zones tidales; eau météorique en milieu continental et d'autre part le contact ou non du sédiment directement avec l'air. Ce dernier facteur nous permet de subdiviser les milieux diagénétiques en deux zones: zone phréatique toujours noyée et zone vadose au-dessus du plan d'eau. Ces deux variables simples sont liées aux trois milieux sédimentaires, l'ensemble de ces rapports étant exprimés Fig. II.3A.

Figure II.3 A: profil schématique localisant les types de ciments précoces et leur environnement de formation. A: subtidal (=zone phréatique marine): ciment aragonitique fibreux à disposition régulière; B: intertidal (=zone vadose marine): ciment aragonitique fibreux à tendance microstalactitique; C: supratidal (=zone vadose marine): aragonite micritique à disposition microstalactitique, associée à des particules à la partie supérieure des cavités; D: continental (=zone vadose météorique): calcite sparitique non magnésienne et silt vadose.

Milieu infratidal (sous-marin)

Ce milieu, par définition, est toujours sous l'eau et le sédiment est en contact soit avec l'eau de mer, soit avec des solutions intersticielles marines de composition variable pouvant entraîner des dissolutions ou des précipitations. Le phénomène de dissolution des particules carbonatées est surtout associé à la profondeur en fonction de la baisse de température et de l'augmentation de la pression partielle de CO2, facteurs qui tendent à augmenter la solubilité de la phase carbonatée. Démontrée de façon convaincante par des expériences, la dissolution de la calcite est plus ou moins rapide au-dessous de 3500 m environ de profondeur. La lysocline est maintenant si classiquement connue qu'on risque d'interpréter des phénomènes similaires dans des séries anciennes uniquement en termes de grande paléoprofondeur.

Or, la dissolution partielle ou complète est également active dans certains milieux peu profonds. Les eaux froides et sous-saturées en carbonates de la Mer Baltique favorisent une dissolution sélective des tests et débris bioclastiques: certains éléments cristallins de la structure cellulaire des mollusques et des échinodermes sont dissous préférentiellement, ce qui donne un aspect micritisé à la particule. D'autre part, même en environnement de plate-forme tropicale, des études récentes ont montré la présence de processus de dissolution des carbonates, par acidification de la tranche supérieure des sédiments. Cette acidification serait liée à la réduction bactérienne des sulfates (SO4= + 2 CH2O ® 2HCO-3 + H2S). Il faut noter que cette acidification ne se manifeste que dans certaines conditions de concentration de SO4= , d'autres niveaux de concentration peuvent au contraire protéger les carbonates en enrichissant les solutions intersticielles en HCO-3 (Perry & Taylor, 2006).

Le phénomène de précipitation sous forme de ciment cristallin est bien établi pour le milieu infratidal mais son importance comme mécanisme de lithification est encore discutée. Le développement de cristaux d'aragonite et de calcite magnésienne dans les sédiments actuels, bien que plus fréquents dans certains milieux néritiques (Bahamas, Golfe Persique, Bermudes, ride médio-atlantique, etc.), se manifeste jusqu'à 1500 m de profondeur dans la Mer Rouge.

Parmi les nombreux exemples de lithification en milieu sous-marin, celui du Golfe Persique semble le plus important en étendue. Dans ce bassin plus ou moins confiné, le phénomène est très répandu dans les sédiments de texture sableuse situés en environnement modérément agité, tels certaines lagunes et, plus au large, à 20-30m de fond, près du niveau inférieur d'action de la houle. Le phénomène semble absent dans les boues de la plaine centrale et également dans les milieux littoraux très agités. L'existence de phénomènes comparables aux Bahamas et aux Bermudes dans des milieux plus ou moins océaniques est la preuve que la lithification sous-marine n'est pas un processus étroitement lié au degré de confinement.

Les produits de cette lithification syn-sédimentaire en milieu infratidal comprennent d'abord, à petite échelle, les graviers de type agrégat ou "lump" puis, à l'échelle régionale, les croûtes. Ces dernières, très développées dans le Golfe Persique, surtout dans presque toutes les lagunes à fond sableux (sable carbonaté) mesurent jusqu'à un mètre d'épaisseur. Le degré de durcissement atteint son maximum à la surface et diminue progressivement vers les sédiments meubles du dessous. Les surfaces durcies, parfois superposées, sont perforées et encroûtées d'une manière tout-à-fait comparable aux "hard-grounds" anciens.

Les études d'atolls du Pacifique et de récifs des Bermudes ont montré que le développement d'un ciment secondaire joue aussi un rôle fondamental dans la stabilisation de la masse récifale. La nature de ces ciments marins est variable: soit aragonitique, soit de calcite magnésienne. Diverses morphologies cristallines sont connues (Figs. II.4, II.6A, B, C) parmi lesquelles les formes aciculaires dominent. Les cristaux de calcite magnésienne de très petite dimension qui, en lame mince, donnent une structure micritique se révèlent être, au microscope électronique, des rhomboèdres de 1 à 5 µm (Fig. II.6A).

Les aspects essentiels de cette lithification précoce en milieu sous-marin sont donc les suivants:

- surfaces durcies et perforées, parfois superposées;

- ciment surtout aciculaire ou micritique;

- répartition de ces ciments: plus développés près de la surface durcie et surtout répartis d'une facon régulière autour des vides inter- ou intragranulaires (Fig. II.3A);

- composition: aragonite ou calcite magnésienne (recristallisée en calcite non magnésienne dans les calcaires anciens, voir ci-dessous).

Figure II.4: dessin schématique de la morphologie de divers types de ciments marins d'après Purser, 1973, modifié.

Grainstone lithoclastique et bioclastique. La cimentation consiste en une frange fibreuse de 60 µm, en croûte isopaque. C'est une diagenèse précoce en zone phréatique marine.

 

Gros-plan sur le ciment fibreux de la lame précédente.

Milieux inter- et supratidal

Dans la zone de battement des marées, les facteurs diagénétiques sont voisins de ceux du milieu sous-marin, au moins en ce qui concerne l'eau. Néanmoins, l'émersion du littoral implique le contact du sédiment avec l'air et l'existence d'un plan d'eau qui fluctue avec les marées. De plus, l'émersion entraîne l'augmentation de la température des eaux interstitielles et en même temps peut provoquer leur évaporation. Ces facteurs physiques donnent un caractère particulier à la diagenèse.

Les phénomènes de dissolution semblent surtout liés à la présence de végétaux, leurs processus métaboliques modifiant le substrat à l'échelle millimétrique. La dissolution à plus grande échelle, présente dans les régions humides, semble être peu étudiée.

Que l'émersion soit surtout favorable à la lithification est démontré par la formation de "beach-rock" (grès de plage), surtout en climats relativement chauds. Même si le littoral est plus accessible (et en conséquence plus étudié) que les milieux infratidaux, il est néanmoins probable que la précipitation de ciment dans la zone intertidale est plus fréquente et intense que dans les milieux submergés.

Le "beach-rock" se développe mieux le long des littoraux à agitation modérée; il est rare sur les plages constamment balayées par les vagues et également rare dans les milieux intertidaux à sédiments boueux. Cette cimentation donne lieu à des croûtes indurées en surface, sous lesquelles s'observe le sédiment meuble. La croûte est souvent plus épaisse près de la limite supérieure des marées, c'est-à-dire dans la zone qui se trouve le plus souvent au-dessus du plan d'eau. Parfois en minces pellicules ou en forme de manchons autour des terriers, la lithification atteint une épaisseur d'un mètre environ sur certaines îles du Golfe Persique. La présence de sédiment non lithifié au-dessous du "beach-rock" en favorise la désintégration soit par des processus d'affouillement biologique ou mécanique, soit par des forces diagénétiques encore peu connues. On constate en effet dans certains cas une augmentation de surface de la croûte (peut-être en liaison avec les forces de cristallisation du ciment), ce qui la déforme en donnant de petits anticlinaux ou micro-chevauchements de l'ordre du décimètre appelés "teepee". Cette désintégration crée souvent des plaquettes de calcaire qui s'accumulent localement le long du littoral sous forme de brèche sédimentaire.

Comme la composition des eaux à partir desquelles le ciment du "beach-rock" précipite est très proche de celle des milieux infratidaux, il n'est pas surprenant que la minéralogie et la morphologie des cristaux dans les "beach rocks" et dans les calcaires cimentés en milieu sous-marin soient similaires. Les nombreuses études de "beach rock" ont montré la présence soit d'aragonite, soit de calcite magnésienne aciculaire ou micritique.

Le caractère essentiel de ce ciment inter- et supratidal concerne sa répartition à l'échelle du pore. Si le ciment formé en milieu infratidal est réparti d'une façon régulière, celui de la zone intertidale (et plus particulièrement de sa partie supérieure) ne l'est généralement pas, (Figs. II.3A, II.5, II.6H). Cette disposition irrégulière du ciment dans la zone de battement des marées est liée à la présence de l'air dans ce milieu vadose et, par conséquent, à la répartition irrégulière de l'eau à partir de laquelle précipite le ciment. Ces irrégularités fréquentes dans les "beach-rocks" du Golfe Persique, se manifestent à trois échelles:

- à petite échelle: l'eau qui s'accumule aux points de contact entre les particules sous forme de ménisque tend à précipiter un ciment très localisé dont les limites épousent le ménisque; il a d'ailleurs été appelé "meniscus cement" par Dunham;

- lorsqu'il s'agit d'un sédiment relativement grossier (sable grossier ou gravier), l'eau tend à s'accumuler non seulement aux points de contact des grains mais aussi sous les surfaces inférieures des particules. Ceci donne naissance à un "ciment microstalactitique" (Figs. II.5, II.6H).

- A plus grande échelle, dans les vides centi- ou décimétriques, le ciment se forme en stalactite sur le plafond de la micro-caverne. Ces cavités se localisent surtout sous les dalles de "beach-rock" où elles sont créées par la déformation en "teepee" ou par l'excavation du sédiment meuble sous-jacent. Ces stalactites marines qui atteignent plusieurs millimètres de long existent sous deux formes. La plus fréquente en zone intertidale est composée de cristaux d'aragonite aciculaire. Dans la zone supratidale, ces micro-stalactites sont composés de sédiment comportant surtout des pelotes fécales durcies et des foraminifères plaqués contre le toit. Cette disposition curieuse s'explique par le fait que les particules sèches flottent, puis se collent contre le plafond lorsque le plan d'eau (ou la marée) monte; elles sont ensuite soudées en grappes par une précipitation de ciment.

En somme, la distinction souvent difficile entre les "beach-rocks" et les calcaires cimentés en milieu sous-marin se résume ainsi: (1) répartition irrégulière du ciment en forme de ménisques ou de microstalactites; (2) présence de brèche sédimentaire fréquente le long du littoral mais plus rare en milieu infratidal; (3) surfaces durcies irrégulières à l'échelle millimétrique (irrégularités dues à l'attaque algaire) mais avec des macro-perforations souvent moins nombreuses que sur les surfaces durcies en milieu sous-marin.

Ciment vadose marin microstalactitique (flèche) (alternance de micrite et de fibres trapues) dans un grainstone cénozoïque du Golfe Persique. Après cet épisode de cimentation, correspondant à la formation d'un beach rock, la lithification s'est poursuivie en milieu continental par la précipitation d'une calcite sparitique drusique.

Fig. II.5: ciment vadose dans un calcaire à ooïdes de la Formation de Terwagne (Dinantien), Emptinne et schéma interprétatif.

Milieu continental

En milieu continental, les processus diagénétiques affectent particulièrement les sédiments holocènes dans les régions où la plaine côtière est bien développée grâce à un accroissement latéral actuel rapide. Ceci est le cas le long de la côte ouest de l'île d'Andros, de la côte d'Abu Dhabi (Golfe Persique) et en bien d'autres lieux. Dans ces régions, les sédiments déposés au départ en milieu littoral sont ensuite cimentés hors de l'influence marine, générant une croûte (caliche) sous laquelle s'observe un sédiment meuble; la transition, au moins à Abu Dhabi, coïncide souvent avec le plan d'eau. De plus, la diagenèse continentale affecte surtout des calcaires pléistocènes un peu partout dans le monde. En somme, on peut considérer que la diagenèse continentale fait partie de la diagenèse précoce, même si elle n'est pas tout-à-fait syn-sédimentaire.

Les processus et les effets de la diagenèse continentale sont bien établis grâce surtout aux études des calcaires pléistocènes des îles Bermudes, de la Barbade, des Bahamas et de la Jamaïque. Les travaux de Friedman (1964) et d'autres démontrent l'instabilité des sédiments carbonatés marins une fois placés sous l'influence des eaux météoriques. La dissolution affecte l'aragonite et la calcite magnésienne. Cette dernière garde généralement sa morphologie même en perdant son magnésium. On assiste donc à la dissolution de particules entières à un degré nettement plus grand que dans les milieux marins.

Le phénomène de dissolution s'associe étroitement à la reprécipitation à proximité du carbonate à cause de la saturation très rapide des eaux météoriques. Cette reprécipitation de calcite non magnésienne donne naissance aux cristaux sparitiques bien connus, de morphologies variées parmi lesquelles la forme trapue à axe c orienté normalement au substrat ("drusy mosaïque") est la plus fréquente. Les cristaux aciculaires typiques des milieux marins sont rares. L'ensemble des processus de disolution et de reprécipitation s'associe à une tendance négative dans les rapports isotopiques 16O/18Oet 12C/13C (voir ci-dessous).

En plus des phénomènes de dissolution et de reprécipitation en calcite sparitique, le milieu continental vadose est caractérisé par une cimentation irrégulière. Similaire mais plus répandu que dans les milieux littoraux, "le ciment en ménisque" est presque toujours présent.

Ciment vadose météorique microstalactitique (flèche) dans un grainstone cénozoïque du Golfe Persique.

Le "silt vadose" défini par Dunham (1969) dans les séries paléozoïques du Nouveau-Mexique existe peut-être dans les calcaires quaternaires bien que sa présence ne semble pas encore signalée. Les eaux météoriques, selon Dunham, jouent non seulement un rôle de dissolution mais peuvent transporter des détritus fins (surtout de la taille des silts) à travers la zone vadose pour ensuite les déposer sous forme de sédiment géopète.

Utilisation des critères diagénétiques précoces dans l'interprétation des paléomilieux

Bien que seuls les aspects pétrographiques soient esquissés, il est néanmoins évident qu'il existe, au moins dans les sédiments holocènes, un rapport entre le milieu sédimentaire et les produits diagénétiques de ce milieu (Fig. II.3A). Autrement dit, on peut dans certains cas employer ces critères diagénétiques précoces pour interpréter des paléomilieux, au moins en termes simples. De ce fait, s'il existe à un moment donné un rapport entre le milieu et les propriétés sédimentaires et diagénétiques, on peut se demander si une évolution transgressive ou régressive à un endroit donné s'exprime systématiquement en termes diagénétiques. Ces séquences transgressives ou régressives (submersion ou émersion) peuvent d'un point de vue diagénétique s'exprimer théoriquement de trois façons :

- une séquence verticale de bancs avant chacun un aspect diagénétique différent mais homogène;

- pour un banc donné, une microséquence, dans un même vide, de ciments différents qui reflètent des changements dans la nature et la composition des solutions interstitielles, c'est-à-dire une microséquence qui traduit une évolution progressive du milieu diagénétique lui-même par suite de l'évolution du bassin (transgression ou régression);

- un mélange intime de ces deux échelles.

Land (1970) démontre à plusieurs échelles une cimentation régressive dans les calcaires pléistocènes des Bermudes où une première phase de cimentation intertidale ("beach-rock") est suivie d'une deuxième phase sparitique continentale. Le seul exemple publié semble-t-il d'une séquence diagénétique transgressive, est donné par James (1972, in Purser) qui décrit dans les falaises de Bermude une calcite sparitique fossile suivie d'une phase de calcite magnésienne micritique. Cette dernière phase semble se former actuellement dans la zone des embruns.

Ces divers rapports entre le milieu sédimentaire et les ciments diagénétiques mis en évidence dans les systèmes quaternaires se retrouvent également dans les séries plus anciennes: un exemple éclatant est fourni dans le Bassin de Paris par les calcaires bathoniens de Bourgogne (cf. Purser). En effet, il existe dans la formation dite "Comblanchien" non seulement la preuve d'émersion en termes sédimentaire et diagénétique, mais aussi des séquences diagénétiques de style "régressifs". A Prémeaux (10 km au N de Beaune) et à Buffon (6 km au NW de Montbard), deux séquences de cimentation régressive légèrement différentes traduisent un épisode d'émersion bathonienne. Les deux exemples s'expriment aussi bien à l'échelle intergranulaire qu'à l'échelle des bancs à cimentations différentes mais homogènes.

La séquence régressive de Prémeaux (Fig. II.7) commence à la base (B) par un ciment fibreux réparti d'une facon régulière autour des particules. Plus haut (C) cette cimentation devient micro-stalactitique de type " beach-rock" puis la séquence se termine (E) par une surface d'érosion qui tronque un ciment sparitique, localement remanié et déposé quelques centimètres plus bas (D) sous forme de "silt vadose" géopète. Cette séquence de ciments semble traduire une émersion progressive d'abord en zone intertidale ("beach-rock') puis dans un milieu hors de l'influence marine (sparite précoce et "silt vadose").

En conclusion, la nature de la diagenèse précoce, ainsi que sa répartition tant à l'échelle du pore qu'au niveau d'une succession de bancs, peut nous aider à mieux comprendre l'évolution d'un bassin sédimentaire ancien.

Fig. II.7: séquence à cimentation régressive à Prémeaux (explications, voir texte). D'après Purser, 1973, modifié.

EVOLUTION DES CIMENTS DANS LES SERIES ANCIENNES

Introduction

Dans les séries anciennes, les ciments primaires décrits ci-dessus ont subi une évolution que l'on peut qualifier de diagenèse tardive: il s'agit généralement de phénomènes de recristallisation avec disparition des phases métastables comme l'aragonite et la calcite Mg. Malgré ces phénomènes, il est souvent possible d'identifier les précurseurs. L'utilisation de méthodes relativement sophistiquées comme la cathodoluminescence, la sonde et la spectrométrie de masse devient souvent nécessaire.

La calcite fibreuse secondaire

On peut distinguer, sur base de leur morphologie, deux types de calcite fibreuse secondaire (résultant de l'évolution d'un ciment primaire): Il s'agit de fibres, d'une longueur de l'ordre du mm pour une largeur de 10 à 100 µm. Ces fibres sont organisées en gerbes, avec des jonctions intercristallines souvent légèrement irrégulières. Chaque fibre présente en lumière polarisée une extinction onduleuse avec convergence ou divergence des axes optiques en direction du sommet du cristal. Les clivages sont concaves ou convexes par rapport au substrat (Figs. II.6E, G).

La coloration des fibres est souvent nettement jaune, avec de nombreuses impuretés noires de taille micronique. Certaines de ces impuretés sont de la matière organique (réaction à l'H2O2 après dissolution de la calcite), souvent attribuables à des bactéries. D'autres sont des micro-rhomboèdres de dolomite (Fig. II.6F). D'autres encore seraient des inclusions fluides et des microcavités.

Les fibres et lames à axes optiques convergents et clivages courbes concaves correspondent à la "calcite radiaxiale" décrite par Bathurst (1959): "fibers [that have] a pattern of subgrains radiating away from the wall allied to optic axes which converge away from the wall as well as curved cleavages and irregular intergranular boundaries". Les fibres à axes optiques divergents et clivages courbes convexes correspondent quant à elles à la calcite "à axes optiques en fascicules" ("fascicular-optic", "F-O"), définie par Kendall (1977): "crystals (...) differ from those in radiaxial fibrous calcite in only one major respect: fast vibration directions in each crystal diverge away from cavity walls (...)".

La calcite granulaire

En lame mince, la calcite granulaire se présente sous forme de mosaïques de cristaux xénomorphes, généralement grossièrement équigranulaires, avec parfois une phase de taille nettement inférieure localisée aux épontes des fractures et cavités. Ce ciment est caractérisé par l'absence d'inclusions.

A: calcite fibreuse (radiaxiale); les flèches indiquent la direction de croissance des fibres. B: calcite équigranulaire.

La dolomite

"Dolomite baroque" de Folk & Assereto (1974) ou "dolomite en selle de cheval" ("saddle-shaped dolomite") de Radke & Mathis (1980 p. 1166: "it is characterized by curved crystal faces and cleavage, undulose extinction, pearly luster and an abundance of very small fluid inclusions.").

Afin de mieux comprendre l'origine de ces ciments, il est nécessaire de faire appel à d'autres méthodes que la pétrographie traditionnelle. J'ouvre donc ici un chapitre introductif à ces méthodes.

Observations en cathodoluminescence

Généralités

Si l'observation en lumière naturelle est un reflet des derniers stades d'évolution des ciments, incluant recristallisation, néomorphisme et stabilisation par rapport aux fluides diagénétiques les plus récents, l'observation en cathodoluminescence permet de mettre en évidence différents stades de croissance des ciments, pour autant qu'ils soient chacun caractérisés par une teneur spécifique en certains éléments traces.

Sans faire ici un exposé de la méthode (que l'on peut trouver dans l'excellent article d'Amieux, 1982, ainsi que dans les différentes publications de Meyers: 1978, par exemple), faisons brièvement le point sur l'état actuel de nos connaissances concernant la cathodoluminescence de la calcite.

La luminescence est provoquée par l'irradiation électronique d'une lame mince polie. La couleur et l'intensité de la luminescence dépendent à la fois de la nature minéralogique des cristaux et de l'abondance des "activateurs" et inhibiteurs" ("activateur: élément en trace ou défaut cristallin ayant la propriété d'induire une ou plusieurs radiations photoniques de longueur d'onde définie; inhibiteur: élément en trace dans le réseau cristallin dont les électrons reviennent à l'état stable par transition non radiative. Le phénomène affaiblit ou annule l'émission photonique provoquée par les activateurs présents dans le réseau cristallin). Les couleurs de luminescence, par le biais de la composition en éléments traces des minéraux, peuvent donc renseigner sur leurs conditions de formation. Les principaux activateurs et inhibiteurs de la cathodoluminescence de la calcite sont le manganèse et le fer et dans une moindre mesure le magnésium:

  • Mn++ provoque une luminescence jaune orangé de la calcite, tandis que Fe++ tend à inhiber cette luminescence;
  • en l'absence de fer détectable, des teneurs en manganèse comprises entre 150 et 650 ppm provoquent une luminescence modérée; des teneurs supérieures ou égales à 700 ppm sont responsables d'une luminescence forte. Si la teneur en fer augmente, la teneur en manganèse doit augmenter pour obtenir les luminescences correspondantes; le rapport Fe/Mn contrôle l'intensité maximale de la luminescence;
  • s'il y a présence de manganèse, des teneurs en fer allant jusqu'à 1% (FeO) ne sont pas suffisantes pour supprimer la luminescence;
  • le Mg++ pourrait avoir un rôle inhibiteur de la luminescence.

Une des hypothèses de base sur laquelle se fonde la méthode est bien entendu l'absence de diffusion des activateurs et inhibiteurs dans le réseau de la calcite.

L'observation des surfaces de contact entre zones de luminescence différente permet aussi de détecter d'éventuelles dissolutions et fournit une indication sur la vitesse d'évolution physico-chimique des fluides diagénétiques: une transition graduelle entre deux zones de luminescence différentes indique une évolution progressive des fluides, tandis qu'une transition nette implique un phénomène plus rapide, ceci, bien entendu, à vitesse constante de croissance cristalline.

Enfin, outre les diverses implications concernant les caractéristiques physico-chimiques du milieu diagénétique qui résultent des observations en cathodoluminescence, de nombreux chercheurs se sont servis de l'outil à grande échelle pour développer une "stratigraphie des ciments" au sein d'un ou de plusieurs corps sédimentaires. Cette "stratigraphie" est basée sur la comparaison des séquences diagénétiques en de nombreux points des corps sédimentaires et plus précisément sur la corrélation de ciments possédant des caractéristiques pétrographiques et de cathodoluminescence communes. Ainsi, la reconstitution de l'extension dans le temps et l'espace des aquifères responsables de la précipitation des divers types de ciments devient possible.

Géochimie

Colorations de surface

La solution de Dickson (1965) est une méthode simple et rapide permettant de différencier qualitativement calcite, calcite ferrifère, dolomite et dolomite ferrifère.

Préparation de la solution: dissoudre 1 g d'alizarine red-S et 5 g de ferricyanure de potassium dans 1l d'HCl à 0,2% (=998 ml d'eau distillée + 2 ml HCl concentré). Note: la validité de la solution est de un jour seulement! Attaquer la lame mince ou le bloc poli pendant 20 secondes dans de l'HCl à 2%, laver à l'eau distillée et immerger dans la solution de Dickson. Laver avec précaution à l'eau distillée. Eventuellement, après séchage, couvrir la lame mince. La calcite est teintée en rose, la calcite ferrifère en violet, la dolomite ferrifère en turquoise et la dolomite non ferrifère reste inchangée.

Lame mince colorée par la solution de Dickson.

L'aragonite peut être distinguée de la calcite, par exemple dans des sédiments récents au moyen de la solution de Feigl.

Préparation: ajouter 1g Ag2SO4 à une solution de 11,8 g de MnSO4.7H2O dans 100 ml d'eau distillée. Faire bouillir, puis refroidir, filtrer la suspension et ajouter deux gouttes de NaOH dilué. Filtrer la solution après 1 à 2 h et la garder dans une bouteille opaque à l'abri de la lumière. L'aragonite se teinte en noir alors que la dolomite et la calcite ne sont pas affectées.

Analyses à la microsonde

Jetons un coup d'oeil sur les valeurs généralement admises pour les différents types de calcite: entre 1 et 1,5% MgO pour la calcite non Mg ou "LMC" (Low Magnesian Calcite) et 6 à 8% pour la calcite Mg ou "HMC" (High Magnesian Calcite) (Bathurst, 1971 p. 235); 7% MgO pour des HMC de Mururoa (Archipel des Tuamotu, Pacifique Sud: Aissaoui & Purser, 1985 p. 258). Calcite radiaxiale: Saller (1986 p. 747) cite 1,5% MgO pour des calcites radiaxiales miocènes, Carpenter & Lohmann (1989 p. 799) obtiennent 1,4% MgO pour des calcites radiaxiales frasniennes, Boulvain et al. (1992) donnent 1,2% MgO également pour des calcites radiaxiales frasniennes.

Les teneurs en strontium à partir de quelques données de la littérature: Grover & Read (1983 p. 282) donnent 0,04% SrO pour des calcites non luminescentes ordoviciennes; Saller (1986 p. 747) obtient 0,03% SrO pour des calcites radiaxiales miocènes. Les aragonites et aragonites anciennes sont en général plus riches en strontium: Bathurst (1971 p. 241) cite un maximum de 2,7% SrO pour l'aragonite; Aissaoui & Purser (1985) indiquent 1% de SrO pour des aragonites de Mururoa; Frisia-Bruni et al. (1989 p. 692) rapportent des teneurs de 0,1% SrO pour des ciments triassiques interprétés comme d'anciennes aragonites.

Géochimie isotopique

Généralités: isotopes du carbone et de l'oxygène

Les quelques éléments présentés ci-dessous ne sont qu'une introduction. Je renvoie pour un exposé plus complet à l'ouvrage de Moore (1989).

La connaissance de la composition en isotopes stables du carbone et de l'oxygène des ciments carbonatés permet d'accéder à deux types d'informations: la température et l'origine des fluides diagénétiques précipitant les ciments.

Les compositions isotopiques du carbone et de l'oxygène, sous forme des rapports isotopiques 18O/16O et 13C/12C sont exprimées en pour mille (o/oo) par rapport à un standard. Pour les ciments carbonatés, on utilise souvent le standard "PDB" (Pee Dee Belemnite, d'âge crétacé):

d18O éch(o/oo)= (18O/16Oéch-18O/16Ost) / 18O/16Ost x 1000

La composition isotopique des fluides diagénétiques dépend fortement de leur origine et de leur histoire. Brièvement, on peut dire que:

- une eau marine d'une certaine composition isotopique en oxygène, soumise à l'évaporation, voit augmenter son 18O/16O;

- les eaux météoriques ont des 18O/16O plus faibles que les eaux marines;

- au cours de la diagenèse, l'interaction des eaux météoriques avec des carbonates marins provoque une évolution isotopique de l'oxygène des carbonates. Cette évolution est rapide suite à la disproportion entre l'oxygène d'origine météorique (abondant) et l'oxygène provenant de la dissolution des carbonates;

- dans le cas du carbone, par contre, l'évolution est relativement lente, en raison de la faible teneur en carbone de l'eau comparée au carbone stocké dans les carbonates. Ce comportement antagoniste du carbone et de l'oxygène donne naissance à la célèbre courbe en "J inversé" (Fig. II.8). Outre le carbone provenant des carbonates, à d13C positif, les fluides diagénétiques d'origine météorique peuvent contenir du carbone provenant du CO2 produit dans les sols, caractérisé par un d13C nettement négatif.

Lors de l'incorporation du carbone et de l'oxygène des fluides diagénétiques dans les ciments, les deux éléments se comportent différemment. En effet:

- la composition isotopique de l'oxygène d'un ciment est liée à la composition isotopique du fluide diagénétique précipitant le ciment et à la température. Toute augmentation de température se traduit par une diminution du d18O. Les deux variables sont mutuellement dépendantes et pour exprimer l'une en fonction de l'autre, des données extérieures sur l'une des deux variables sont nécessaires;

- la composition isotopique du carbone d'un ciment est uniquement liée à la composition isotopique du fluide diagénétique précipitant le ciment.

A titre d'exemple, relevons quelques valeurs citées dans la littérature pour des calcites dévoniennes:

- Machel (1986 p. 344) donne pour des calcites LMC ferrifères provenant de biohermes d'Alberta un d18O de -8,2o/oo (PDB). Cette sparite semble météorique ou formée à des températures élevées (au cours de l'enfouissement);

- Carpenter & Lohmann (1989 p. 801) obtiennent, pour une sparite à bandes luminescentes (Alberta également) à 0,5% MgO et 0,06% FeO un d18O de -5,2 à -8,8o/oo (PDB) et un d13C de +2,0o/oo (PDB); pour une sparite à cathodoluminescence orangée non zonaire, plus riche en fer (0,1% FeO) et présente dans des fractures: d18O= -9 à -11,8o/oo (PDB) et d13C= +2,0o/oo (PDB). Le premier ciment est considéré comme météorique, le second serait lié à l'enfouissement;

- Hurley & Lohmann (1989 p. 137-139) publient, pour des ciments dévoniens du Canning Basin les valeurs de d18O = -7 à -8o/oo (PDB) et d13C = +1,5 à -7o/oo (PDB) pour une sparite non ferrifère à luminescence modérée, interprétée comme météorique et d18O = -6,0 à -9o/oo (PDB), d13C = +2,0o/oo (PDB) et d18O = -8 à -12o/oo (PDB), d13C = +2 à +1,5o/oo (PDB) pour des calcites non ferrifères liées à l'enfouissement.

Fig. II.8: évolution schématique des rapports isotopiques du C et de l'O des ciments au cours de la diagenèse. Le cercle orange représente la composition isotopique originale d'un ciment marin (par exemple, un ciment fibreux en frange isopaque). L'étape 1 correspond à un rééquilibrage de d18O par l'oxygène des eaux météoriques; le d13C ne change pas, en raison de la faible concentration en C des eaux météoriques; le ciment précipité est une sparite drusique. L'étape 2 montre une baisse du d13C, car le C des carbonates métastables n'est plus suffisant pour maintenir le rapport isotopique à la valeur des carbonates marins. Les étapes 1 et 2 correspondent à la courbe en "J inversé". L'étape 3 est plus tardive et correspond à une nouvelle baisse du d18O par augmentation de température des fluides diagénétiques: il s'agit de diagenèse tardive; le ciment précipité est une sparite en grands cristaux équigranulaires.

Généralités: isotopes du strontium

 Il y a quatre isotopes stables du Sr: 88Sr, 87Sr, 86Sr et 84Sr. Le 87Sr est produit par la désintégration radioactive du 87Rb et son abondance a donc augmenté au cours des temps géologiques. Comme les carbonates ne contiennent en général pas de Rb, leur teneur en 87Sr demeure constante et reflète celle de l'eau de mer à l'époque de leur formation (il faut donc s'assurer que des argiles ou d'autres impuretés contenant du Rb sont absentes des carbonates étudiés). Contrairement au carbone ou à l'oxygène, il n'y a pas de fractionnement des isotopes du Sr par les divers processus actifs dans la diagenèse.

Le 87Sr/86Sr de l'eau de mer reflète aussi la contribution relative des différents types de roches soumises à l'altération sur les continents, et l'apport des injections hydrothermales. On peut donc construire une charte de la variation du 87Sr/86Sr de l'eau de mer au cours du temps (Fig. II.9). Si l'on compare le 87Sr/86Sr d'un carbonate marin dont on connaît l'âge avec la charte, et que l'on constate une différence significative, on peut dire que l'échantillon a été affecté par un processus diagénétique impliquant de l'eau de mer plus jeune ou des eaux d'origine non-marine. Ce principe a été utilisé par exemple pour dater une dolomitisation secondaire par des eaux marines.

Au cours de la diagenèse météorique, les premiers ciments précipités vont montrer un 87Sr/86Sr très proche de celui des calcaires marin, car il y a une disproportion importante entre le contenu en Sr des carbonates marins et celui de l'eau douce. Pour que le 87Sr/86Sr d'un ciment météorique diverge significativement de la valeur établie pour les carbonates marins du même âge, il faut qu'un énorme volume d'eau douce ait circulé dans le corps sédimentaire. Une forte interaction avec des sédiments siliciclastiques (riches en Rb) peut également augmenter le 87Sr/86Sr .

 

Fig. II.9: variation du 87Sr/86Sr des carbonates marins au cours des temps géologiques.

L'origine des ciments secondaires et de diagenèse tardive

La calcite radiaxiale et FO

L'origine de ces ciments a fait l'objet de nombreuses controverses opposant les partisans d'une origine secondaire, par remplacement d'un ciment fibreux marin primaire et les partisans d'une précipitation directe à partir de l'eau de mer. Signalons également l'hypothèse d'une origine organique, soutenue par Monty.

Soulignons les points suivants:

- la calcite radiaxiale ne possède généralement pas la signature isotopique d'un ciment marin;

- la calcite radiaxiale est une LMC, mais elle possède la particularité d'inclure de nombreux micro-rhomboèdres de dolomite (voir Fig. II.6F);

- la calcite radiaxiale est un ciment généralement relativement précoce, puisqu'il peut être interstratifié avec des sédiments internes dont certains sont précoces (Fig. II.6E);

- la calcite radiaxiale est pauvre en strontium, contrairement aux aragonites.

On peut donc émettre l'hypothèse que la calcite radiaxiale résulte du rééquilibrage d'un ciment fibreux primaire, marin, par des fluides diagénétiques. Ce ciment fibreux primaire n'est pas une aragonite. Il pourrait par contre s'agir de HMC dont la morphologie est très proche de la morphologie de la calcite radiaxiale (Fig. II.6D) et dont le magnésium aurait été démixé lors du rééquilibrage diagénétique et précipité sous la forme d'inclusions de micro-dolomite (Fig. II.6F). Contrairement à l'aragonite qui s'altère en se rééquilibrant, la HMC peut perdre son magnésium sans subir de forts changements morphologiques.

La calcite granulaire automorphe

Ce type de ciment n'est généralement pas considéré comme un ciment marin étant donné sa morphologie et la taille assez importante de ses cristaux. Schlager & James (1978 p. 698) ont bien signalé une sparite granulaire LMC en formation sur le fond océanique, aux Bahamas, mais les cristaux ne dépassaient pas une dizaine de microns.

Il peut donc s'agir soit d'un ciment d'origine météorique, soit d'un ciment lié à l'évolution d'eaux connées au cours de l'enfouissement.

Généralement, les observations en cathodoluminescence et les analyses chimiques permettent de résoudre l'alternative. La présence de zonations de luminescence, liées à des variations répétitives dans la "qualité" des fluides diagénétiques sont peu probables durant la diagenèse d'enfouissement; elles témoignent plutôt d'influences météoriques. Le fait d'observer en général deux phases de cristaux de taille nettement différente plaide également pour une influence météorique; les ciments liés à l'enfouissement sont caractérisés eux par une augmentation progressive de la taille de leurs cristaux.

Une séquence fréquemment observée dans les cavités des calcaires paléozoïques, un ciment non luminescent pauvre en fer et manganèse, surmonté d'un ciment luminescent riche en manganèse peut être interprétée comme le reflet de l'évolution du degré d'oxydo-réduction de fluides diagénétiques d'origine météorique.

En effet, dans un aquifère oxydant, l'état d'oxydation du fer (Fe3+) et du manganèse (Mn3+ et Mn4+) empèche leur incorporation dans le réseau de la calcite, donnant naissance à des ciments non luminescents. Ensuite, si un certain confinement de l'aquifère a lieu, l'augmentation du caractère réducteur des fluides provoque la réduction du manganèse sous forme Mn++ qui est alors incorporé dans le réseau des calcites et est reponsable de leur luminescence. La zonation de la phase luminescente, qui a souvent un caractère très local, est probablement liée aux augmentations et diminutions temporaires de la circulation des fluides dans les cavités, responsables de variations temporaires du confinement.

Les eaux météoriques sont généralement caractérisées, près de leur aire de recharge par un d13C négatif qui peut évoluer, dans des zones plus distales de l'aquifère, par rééquilibrage avec les carbonates marins, vers des valeurs positives souvent assez constantes. Les fluides connés possèdent également des d13C constants, en équilibre avec le sédiment.

La calcite xénomorphe à luminescence terne

Ce ciment comble généralement les cavités ultimes des calcaires anciens.

Les analyses chimiques et en cathodoluminescence montrent que cette calcite ferrifère à luminescence terne, peu ou pas zonée et abondante dans les fractures, est typique d'un ciment lié à l'enfouissement. L'incorporation de fer dans le réseau de la calcite (sous forme Fe++) résulte en effet d'une augmentation du caractère réducteur des fluides diagénétiques. Le manganèse est toujours disponible et sa concentration dans le réseau de la calcite est proportionnelle à celle du fer .

L'importance volumétrique souvent majeure de cette sparite ferrifère est liée au développement des phénomènes de pression-dissolution qui libère de grandes quantités de CaCO3.

La dolomite ferrifère

La précipitation de dolomite ferrifère baroque, considérée comme un ciment de température relativement élevée (60-150°C, Radke & Mathis, 1980 p. 1166; 100°C, Mountjoy & Krebs, 1983 p. 37; 50-100°C, Sibley & Gregg, 1987 p. 968, etc...) n'est pas forcément associée à l'augmentation du rapport Mg/Ca des fluides diagénétiques. Hardie (1987 p. 178) rapporte en effet qu'au-dessus d'une certaine température, beaucoup de fluides, même riches en calcium deviennent dolomitisants.

L'exemple des monticules frasniens

- Méthodes d'analyse

L'étude s'appuie sur l'observation pétrographique (lumière polarisée et cathodoluminescence) de plusieurs centaines de lames minces provenant de douze monticules micritiques du Frasnien des Formations de Neuville et des Valisettes. Des colorations de surface (méthode de Dickson) ainsi que des analyses à la microsonde ont été réalisées. Plusieurs dizaines d'analyses isotopiques du carbone et de l'oxygène ont été effectuées sur les divers types de ciment mis en évidence, après extraction sous la loupe binoculaire.

- Les séquences diagénétiques

Les fenestrae pluricentimétriques des monticules possèdent une séquence diagénétique commune (Fig. II.10):

  • (1) calcite fibreuse radiaxiale à luminescence irrégulière;
  • (2) calcite granulaire automorphe non luminescente en cristaux submillimétriques à terminaison scalénoédrique;
  • (3) en croissance syntaxiale sur (2), une bordure à vive luminescence orangée, souvent zonaire;
  • (4) calcite granulaire xénomorphe à luminescence orangée terne, parfois grossièrement zonaire;
  • (5) dolomite baroque ferrifère à luminescence variable.

D'un point de vue quantitatif, (1) représente de 20 à 60 % du volume des ciments, (2) et (3) n'en représentent que 5 à 10 % et (4) peut représenter 30 à 70 % des ciments. Les phases (4) et (5) sont contemporaines de l'ouverture d'un réseau de fractures et du début des phénomènes de pression-dissolution.

Ces "grandes" cavités possèdent la séquence la plus complète. Dans les cavités plus petites, on observe la séquence (2) à (5). Dans les calcaires argileux péri- et extrabiohermaux, elle se réduit à (4)-(5). Enfin, dans les calcaires à oncolithes des zones internes de la rampe, une calcite xénomorphe non luminescente, attribuable à la phase (2), colmate la totalité de la porosité. Les phases (4) et (5) y sont présentes uniquement dans les fractures. Toutes les matrices carbonatées montrent la même luminescence terne que (4).

Figure II.10: A: séquence diagénétique d'un stromatactis d'un monticule frasnien. B: séquences diagénétiques schématiques des monticules et des sédiments contemporains; explications: voir texte.

- Géochimie et géochimie isotopique

Le tableau II.3 indique la teneur des différents ciments en Mn, Fe et Mg, Ca.

   

FeO (%)

 

MnO (%)

 

MgO (%)

 

CaO (%)

 

Phase

nombre d'analyses

moy

var

moy

var

moy

var

moy

var

1

6

nd

 

nd

 

1,2

0,3

98,4

0,8

2

10

nd

 

nd

 

0,8

0,1

99,2

0,3

3

16

nd

 

1,2

0,3

0,8

0,03

98

0,6

4

13

1,0

0,01

0,2

0,02

0,8

0,1

98

1,1

m

6

0,8

0,2

nd

 

1,5

0,3

94,7

0,8

5

10

16

2

0,2

0,01

31

2,4

52,5

0,2

Tableau II.3: analyses microsonde des ciments des monticules micritiques. Limites de détection (degré de confiance 2
s): FeO: 0,07%; MnO: 0,05%.

Les analyses des isotopes du carbone et de l'oxygène portent sur les phases (1), (2), (4), (5) et sur la matrice. Les résultats sont résumés au tableau II.4.

   

d13C (PDB)

 

d18O (PDB)

 

Phase

nbre d'échantillons

moyenne

variance

moyenne

variance

1

8

1,69

1,4

-8,02

1,l

2

8

2,87

1,l

-7,70

0,6

4

13

2,24

1,5

-10,86

1,0

m

15

1,94

1,5

-10,85

1,8

5

4

-0,71

2,0

-8,59

2,3

Tableau II.4: analyses isotopiques (spectromètre de masse Finnigan Mat Delta E) du C et de l'O d'échantillons de neuf monticules micritiques. (1), (2), (4) et (5): ciments; (m) : matrice. Deux séries de 10 analyses ont été réalisées pour chacun des échantillons.

- Interprétation des résultats

L'interprétation de l'origine des ciments doit intégrer les données pétrographiques, géochimiques et les résultats de l'étude sédimentologique qui fournit des contraintes sur l'évolution du milieu de sédimentation. Reprenons les différentes phases de la cimentation.

  •  (1) Ce ciment, quoique fibreux, ne possède ni la signature isotopique d'un ciment marin dévonien (d18O: -5,00o/oo PDB, d13C: +2,00o/ooPDB) ni la teneur élevée en Mg de la calcite magnésienne actuelle. Sa morphologie en est cependant très proche et de fréquentes interstratifications ciment-sédiment marin témoignent de son caractère précoce. Au MEB, une attaque acide révèle des cristaux submicroniques de dolomite (Fig. II.6F). On peut dès lors admettre que la calcite radiaxiale est un ciment marin magnésien, rééquilibré isotopiquement et chimiquement par des eaux non magnésiennes responsables de la précipitation des phases suivantes. Ce phénomène serait responsable de la similarité des compositions isotopiques des calcites (1) et (2) et de la luminescence irrégulière, nulle ou orangée de (1).
  • (2) et (3) Il peut s'agir soit d'un ciment météorique, soit d'un ciment lié à l'évolution d'eaux connées au cours de l'enfouissement. La zonation de la luminescence plaide plutôt en faveur d'un ciment météorique. La séquence (2)(3) s'interprète alors comme résultant de l'augmentation du caractère réducteur des fluides météoriques, permettant l'incorporation du Mn dans le réseau de la calcite. Le d18O de (2), nettement plus négatif que la valeur acceptée pour les ciments marins traduit l'influence météorique. Enfin, la dispersion des valeurs du d13C est considéré comme un critère d'identification des ciments météoriques.
  • (4) Cette calcite témoigne, par sa teneur en Fe, de conditions plus réductrices que (3). Introduit dans les cavités par un réseau de fractures, ce ciment présente une grande homogénéité de composition. Ses valeurs de d18O, nettement négatives, témoignent d'une augmentation de température des fluides diagénétiques. On note d'ailleurs que plus les monticules sont éloignés du paléorivage, plus le d18O de (4) est négatif, traduisant un enfouissement plus important. La diminution corrélative du d13C peut être liée à une disparition des carbonates métastables (diminution de l'interaction sédiment-fluides) ou encore à la production de 12C par maturation des hydrocarbures. Sans rejeter totalement une influence météorique, on doit conclure ici à une diagenèse d'enfouissement. La composition isotopique de la matrice et sa luminescence montrent que la dernière phase du néomorphisme est contemporaine de la précipitation de la phase (4).
  • (5) Le caractère tardif de ce ciment apparaît par sa position dans la séquence diagénétique: il est contemporain ou postérieur à (4). Il résulte d'une diagenèse d'enfouissement.

- Séquences diagénétiques et évolution post-sédimentaire de la rampe

L'histoire diagénétique débute dès l'édification des monticules, avec la croissance dans les grandes cavités d'un ciment marin magnésien. Ensuite, intervient un aquifère météorique oxydant, à circulation intense et forte cimentation dans les zones internes de la rampe, proches des aires d'alimentation. Dans les monticules micritiques ne précipite par contre qu'une frange de calcite (2), rapidement suivie d'un ciment plus réducteur (3). Cette différence traduit l'éloignement des monticules par rapport aux zones de recharge de l'aquifère. L'absence des phases (2) et (3) dans les calcaires argileux périphériques aux monticules est attribuée à leur faible perméabilité.

L'envahissement des sédiments par une lentille météorique est la conséquence d'une importante régression marine. Cette régression est pré-carbonifère, puisqu'elle est préalable aux phénomènes de pression-dissolution qui débutent avec quelques centaines de mètres d'enfouissement. Il s'agit donc de la régression famennienne. La transgression carbonifère est ensuite responsable de l'arrêt de la cimentation météorique. Les ciments (4) et (5) témoignent d'une élévation de température et de l'existence d'une pression lithostatique à l'origine des phénomènes de pression-dissolution. Les fluides chauds et réducteurs responsables de la précipitation de ces ciments ont transité par un réseau de fracture ouvert à l'échelle de la rampe. Le rééquilibrage chimique et isotopique de la matrice est la conséquence de cette dernière phase.

- Conclusions

La séquence diagénétique décrite ici semble être commune à plusieurs types de corps carbonatés stratigraphiquement différents. Il faut voir dans cette similitude l'effet d'une histoire post-sédimentaire analogue: une cimentation en zone phréatique marine préalable à l'enfouissement, puis l'installation d'une lentille météorique au cours d'une régression marine, avec faciès réduits dans les zones distales de l'aquifère et enfin, une cimentation d'enfouissement, après une nouvelle transgression. Ce "motif" géologique s'est répété maintes fois.

Pour en savoir plus

  • P. Amieux, 1982. La cathodoluminescence: méthode d'étude sédimentologique des carbonates. Bull. Centres Rech. Explor. Prod. Elf-Aquitaine, 6, 2, 437-483.
  • R.G.C. Bathurst, 1971. Carbonate sediments and their diagenesis. Developments in Sedimentology, 12, Elsevier, 620 pp.
  • F. Boulvain, 2001. Facies architecture and diagenesis of Belgian Late Frasnian carbonate mounds (Petit-Mont Member). Sedimentary Geology, 145/3-4, 269-294
  • S.J. Burns, J.A. McKenzie & C. Vasconcelos, 2000. Dolomite formation and biogeochemical cycles in the Phanerozoic. Sedimentology, 47, 49-61.
  • J.A. Dickson, 1965. A modified staining technique for carbonate in thin section. Nature, 205, 587.
  • R.J. Dunham, 1971. Meniscus cement. In O.P. Bricker éd.: Carbonate cements. John Hopkins Univ. Press, 297-300.
  • G.M. Friedmann, 1964. Early diagenesis and lithification in carbonate sediments. J. Sedimentary Petrol., 34, 777-813.
  • F. Lippmann, 1973. Sedimentary carbonate minerals. Springer-Verlag.
  • W.J. Meyers, 1978. Carbonate cements: their regional distribution and interpretation in Mississippian limestones of SW New Mexico. Sedimentology, 25, 371-400.
  • C.H. Moore, 1989. Carbonate diagenesis and porosity. Developments in Sedimentology, 46, Elsevier, 338 pp.
  • C. Perry & K.G. Taylor, 2006. Inhibition of dissolution within shallow water carbonate sediments: impacts of terrigenous sediment input on syn-depositional carbonate diagenesis. Sedimentology, 53, 495-513.
  • B.H. Purser, 1980. Sédimentation et diagenèse des carbonates néritiques récents. Tome 1: les éléments de la sédimentation et de la diagenèse. Ed. Technip, 367 pp.
  • B.H. Purser, 1983. Sédimentation et diagenèse des carbonates néritiques récents. Tome 2: Les domaines de sédimentation carbonatée néritiques récents; application à l'interprétation des calcaires anciens. Ed. Technip, 389 pp.
  • B.H. Purser & J.P. Loreau, 1972. Structures sédimentaires et diagénétiques précoces dans les calcaires bathoniens de la Bourgogne. Bull. B.R.G.M., II, IV, 2, 19-47.

 

III. Utilisation de la susceptibilité magnétique en sédimentologie (avec A-C. da Silva)

La susceptibilité magnétique n'est utilisée en sédimentologie que depuis les années 1990, essentiellement par l'équipe de Crick et Ellwood, dans un but de corrélation à la fois à très haute résolution (5e-6e ordre) et sur de longues distances (intercontinentales). Très récemment, la technique a été utilisée afin de reconstituer les variations eustatiques.

ORIGINE ET NATURE DE LA SUSCEPTIBILITE MAGNETIQUE

La susceptibilité magnétique est la mesure de la réponse d'un échantillon à un champ magnétique externe. Un corps soumis à un champ magnétique H développe une magnétisation induite M (ou aimantation) dont l'intensité et le sens dépendent de sa susceptibilité magnétique s selon la loi:

M=s.H

où H=champ magnétique appliqué; M= magnétisation induite; s= susceptibilité magnétique.

La mesure de la susceptibilité magnétique concerne donc bien le magnétisme induit et non le magnétisme rémanent lié au champ magnétique terrestre.

La susceptibilité magnétique est fonction de la nature des minéraux constituant la roche, de leur concentration et de leur taille. On distingue les minéraux diamagnétiques, qui possèdent une réponse très faible et négative, c'est-à-dire qu'ils développent une aimantation induite de sens inverse au champ magnétique appliqué et ne possèdent pas de rémanence (si le champ appliqué disparaît, la magnétisation induite disparaît également); ex: quartz, calcite (s~ -1.10-5); les minéraux paramagnétiques, qui montrent une susceptibilité positive faible sans rémanence ; ex: argile, pyrite, dolomite (s~ 1.10-4); et enfin, les minéraux ferrimagnétiques qui possèdent une susceptibilité élevée et conservent une certaine aimantation après l'arrêt du champ magnétique externe; ex: magnétite, hématite, goethite, pyrrhotite (s~ 6.10-3).

UTILISATION SEDIMENTOLOGIQUE

En sédimentologie, on mesure la susceptibilité totale: les échantillons ne doivent donc pas être orientés. Le signal mesuré est divisé par la masse de l'échantillon et on obtient donc une susceptibilité magnétique spécifique (m3/kg). Les facteurs influençant cette susceptibilité sont les suivants:

  • les variations du niveau marin: durant une baisse du niveau marin, le niveau de base des systèmes fluviatiles chute, entraînant une augmentation de l'érosion et de l'apport détritique au bassin de sédimentation: la susceptibilité augmente; durant une transgression, inversément, la susceptibilité diminue;
  • les variations climatiques: une augmentation de la pluviosité provoque un afflux de détritiques dans le bassin et donc une augmentation de la susceptibilité;
  • la pédogenèse est un processus qui favorise la formation de minéraux ferrimagnétiques et provoque donc une augmentation de la susceptibilité;
  • les phénomènes tectoniques: un rajeunissement du relief amène une reprise d'érosion et une augmentation de la susceptibilité.

 Il faut également examiner si des facteurs non-environnementaux ne sont pas susceptibles d'influencer la susceptibilité:

  • la diagenèse: sous des conditions réductrices, les oxydes de fer disparaissent partiellement: ceci entraîne une diminution du signal, mais pas sa disparition;
  • les éruptions et impacts météoritiques: ce sont des événements relativement instantanés et le signal sera dilué;
  • les apports biogéniques (bactéries, algues): c'est un apport relativement faible par rapport à la magnétite détritique;
  • la bioturbation: son effet dépend de la résolution à laquelle on travaille. La bioturbation remanie les sédiments (et les minéraux porteurs du signal) à l'échelle du banc.

 Les principales applications sédimentologiques sont donc:

  • la reconstitution des variations du niveau marin;
  • la corrélation de coupes par des courbes de susceptibilité présentant des pics isochrones et indépendants du faciès; la résolution obtenue est en général supérieure à celle des corrélations paléontologiques;
  • l'identifiation de variations climatiques, si l'on combine la méthode avec d'autres techniques indépendantes susceptibles de permettre une reconstitution des variations du niveau marin (analyse des faciès).

Fig. III.1: un exemple d'utilisation de la susceptibilité magnétique dans l'élaboration d'une courbe bathymétrique: la Formation de Lustin à Tailfer (d'après da Silva & Boulvain, 2002).


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