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  Les protéines de réserves végétales chez les graines
 
Les protéines de réserves végétales chez les graines

Par Guillaume Calu
Publié le mercredi 4 juillet 2007. Dernière modification le samedi 16 juin 2007. 

Afin d’assurer le bon développement des embryons lors de leur germination, de nombreux végétaux fournissent à ces derniers de tissus de réserves : il s’agit chez les Angiospermes des cotylédons et de l’albumen. Ces réserves, riches en substances azotées et en soufre, sont constituées d’amidon, de lipides et de protéines de réserve. Contenant une forte proportion de glutamine, asparagine et arginine, leur assemblage et leur stockage dans les graines est lié à des contraintes spatiales et temporelles. Leur biosynthèse, après traduction des ARNm dans le réticulum endoplasmique rugueux, se poursuit par des étapes de glycosylation, de pontages disulfures et de folding catalysés par des protéines chaperonnes et des protéases.

Les premières études menées autour des protéines de réserve remontent au XVIIIème siècle (Beccari, 1745 : étude du gluten). En 1924, Osborne propose une première classification basée sur leurs solubilités respectives dans l’eau (albumines), solutions salines (globulines), mélanges hydro-alcooliques (prolamines) et dans des solutions d’acides ou alcalines (glutélines). Actuellement, prolamines et glutélines sont réunies sous le même terme de prolamines, et certains auteurs simplifient également cette liste en deux super-familles : celle des prolamines (albumines, prolamines, glutélines) et celle des globulines (Shewry, 1995).

Les prolamines sont très majoritaires chez les Poacées (herbes et céréales), où elles peuvent représenter jusqu’à la moitié des ressources en azote de la graine. Le riz fait figure d’exception, avec une majorité de glutélines (proche de la globuline 11S) et 5 à 10% de prolamines. Les Oleaprotéagineux (Soja, Colza, Pois, Lupin...) contiennent principalement des globulines et des albumines. Durant cet article, nous nous intéresserons d’abord à la structure des protéines de réserve, avant d’aborder leur biosynthèse et leur assemblage sub-cellulaire.

 

Structure des protéines de réserve

1. La super-famille des Prolamines

Ces protéines se caractérisent par un important polymorphisme génétique. Leur forte teneur en proline et en glutamine (30 à 70%) présents sous forme de motifs répétés leur confère des structures secondaires en coudes β et en hélices poly L-Proline II. A l’inverse, les séquences non-répétées ont tendance à former des structures globulaires. Les cystéines présentes permettent la formation de ponts disulfures intramoléculaires. Leur pI est proche de 8 et elles sont faiblement chargées. Leur séquence polypeptidique comprend des séquences conservées A, B et C (certainement issues de la triplication d’un domaine ancestral commun, et parfois délétés chez certains groupes) ainsi que des séquences répétées, aux motifs variables. Certaines enfin subissent des protéolyses lors de leur maturation post-traductionnelle.

La super-famille des prolamines comprend différents groupes (figure 1). Pour plus de clarté, nous les détaillerons séparément dans le texte.

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Figure 1 : classification de la super-famille des prolamines (d’après Shewry, 1995).

1.1. Les albumines 2S

Ces protéines sont présentes chez les monocotylédones comme chez les Dicotylédones. Elles se composent de deux chaînes polypeptidiques (chez la napine, α vaut 4000 Da et β vaut 9000 Da), clivées à partir d’une seule protéine après biosynthèse et reliées par deux ponts disulfures. Deux autres ponts disulfures sont présents sur la chaîne β. Chez le Pois, il n’existe cependant pas de pont disulfure entre les deux chaînes et chez le Tournesol, il existe une forme mature qui ne subit pas de protéolyse. Leur structure secondaire comprend 50% d’hélices alpha et très peu de feuillets béta.

1.2. Les prolamines des Triticeae

Ces protéines de 30 kDa à 50 kDa, au polymorphisme structural très important compennent trois sous-groupes : les S-riches, les S-pauvres et les HMW (Hight Molecular Weight).

 Les S-riches (γ-hordéines, γ-glyadines, α-glyadines, protéines Low Molecular Weight) comprennent les régions conservées A, B et C, ainsi que des séquences répétées (PQQPFPQ). Leur structure secondaire correspond à celle décrite précédemment. La présence de nombreuses cystéines permet la formation de ponts disulfure intra- et inter-chaînes.
 Les S-pauvres (ω-glyadines, ω-sécalines, C-hordéines) possèdent un motif répété octapeptidique (PQQPFPQQ)8 quasi unique. Elles ont perdu les régions conservées A, B et C. Le manque de cystéines empêche la formation de ponts disulfures. Structurellement, elles forment des coudes β et des hélices Proline II, donnant une forme allongée à la protéine de 70 nm de long.
 Les HMW (glutéines) contiennent des séquences répétées variant et ont la structure habituelle des prolamines (décrites en début de chapitre).

1.3. Les zéines

Ces prolamines du maïs (Zea mais) se présentent sous les formes des α, β, γ et δ-zéines. Elles ont pour les trois premières des séquences conservées A, B et C, sauf la δ-zéine, qui présente des homologies de séquence avec l’albumine 2S de la noix du Brésil, ce qui permet de la classer parmi la super-famille des Prolamines L’α-zéine, présente à 75-80%, est pauvre en cystéine et en méthionine. Elle se compose de séquences répétées, sans qu’il ne soit clairement évident d’y deviner des homologies avec les autres prolamines, et n’a plus de séquences consensus. Sa structure secondaire est encore mal connue (1995). Pour ces raisons, l’ α-zéine est nettement séparée des autres zéines. Les β, γ et δ-zéines sont riches en cystéine et en méthionine. Elles forment un second ensemble bien distinct des α-zéines. La β-zéine n’a pas de séquences répétées.

1.4. Les autres groupes

Les avénines de l’avoine sont composées des séquences conservées A, B et C, auxquelles s’ajoutent deux séquences répétées riches en proline et en glutamine. Le riz contient 3 petites protéines, sans séquences répétées et dotées de séquences conservées A, B, C vestigiales. Il semblerait qu’elles soient apparentées aux prolamines des Triticeae.

2. La super-famille des Globulines

Ces protéines globulaires, présentes majoritairement chez les Dicotylédones, comprennent deux groupes : les 7S (du type vicilines) et les 11S (du type légumines).

2.1. Les Globulines 11S et 12S

Ce sont des hexamères de sous-unités composées de deux chaînes polypeptidiques reliées par un pont disulfure (figure 2). Les deux chaînes font respectivement 40 kDa et 20 kDa. Elles proviennent d’un précurseur protéique qui est clivé après formation du pont disulfide. La chaîne α (acide) s’oriente vers la périphérie de l’hexamère. La chaîne β (basique) s’oriente vers le cœur du complexe. Ces molécules ne sont habituellement pas glycosylées, à l’exception de la 12S du lupin.

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Figure 2 : clivage post-traductionnel de la globuline 11S
Les extrêmités de la protéine initiale de 60 kDa sont indiquées pour plus de clarté dans la figure.

2.2. Les globulines 7S

Elles se composent de trimères de 150 à 190 kDa qui, en raison de l’absence de cystéines, ne forment pas de ponts disulfure (figure 3). Elles subissent des étapes de protéolyse et de glycosylation. Mais chez la β-phaseoline, par contre, il n’y a pas de protéolyse.

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Figure 3 : clivage post-traductionnel de la globuline 7S
Les extrêmités de la protéine initiale de 50 kDa sont indiquées pour plus de clarté dans la figure.

Lorsque l’on compare ces deux types de globulines, il apparaît clairement que la 11S comprend la séquence protéique de la 7S entrecoupée de 4 insertions majeures. Leur structure secondaire, riche en feuillets β, est également similaire, ce qui laisse envisager une homologie et l’existence d’un ancêtre protéique commun.

Biosynthèse et assemblage des protéines de réserve

La production des protéines de réserve est un sujet captivant : si la localisation subcellulaire a pu être mise en évidence, les différentes étapes de maturation post-traductionnelle et d’organisation macromoléculaire dans les vésicules stockage font encore l’objet d’études. Parmi les problèmes rencontrés, beaucoup de travaux de biologie structurale utilisent des méthodes d’observation in vitro, comme la microscopie AFM, permettant d’obtenir des données précises sur la protéine ou la matrice étudiée, mais corrélables de manière plus hasardeuse à la réalité biologique.

1. La translocation et le peptide signal

Toutes les protéines de réserve sont synthétisées dans le réticulum endoplasmique (RE). Elles possèdent donc initialement une séquence-signal permettant la translocation de la chaîne polypeptidique dans la lumière du RE. Une étude menée sur l’α-zéine souligne l’importance du peptide signal dans la production et l’adressage de ces protéines (Gillikin et al., 1997). La mutation floury-2 chez le maïs consiste en une inversion d’acide aminé (Ala → Val) sur le peptide signal de l’ α-zéine. Elle altère la morphologie des corps protéiques et produit une α-zéine de 24 kD. La signal peptidase ne reconnaît plus la séquence signal mutée et ne vient plus cliver la chaîne protéique dans le RE. La mutation affecte le processing de l’ α-zéine et cette dernière reste fixée à la membrane plasmique du RE. Chez la glycinine (globuline 11S), la conservation du peptide signal empêche sa trimérisation in vitro, soulignant l’importance du clivage de cette séquence lors des étapes ultérieures d’assemblage protéique (Dickinson et al., 1987).

2. Le rôle des protéines chaperonnes et organisation de la structure quaternaire des corps protéiques

Le réticulum endoplasmique possède des protéines chaperonnes comme la BiP (Binding Protein), qui seraient impliquées dans la formation de la structure tertiaire et quaternaire des protéines de réserve. En effet, la BiP empêcherait ainsi l’agrégation et la précipitation des intermédiaires mal repliés. Les mutants incapables de former des structures quaternaires correctes, quant à eux, sont dégradés. La BiP a été observée à l’interface entre les α-zéines et la membrane plasmique chez les mutants floury-2 (Zhang & Boston, 1992). Lors de l’assemblage de la phaseoline, la BiP est associée avec les globulines monomériques avant leur trimérisation (Lupatelli et al., 1997). Mais les détails de ses fonctions biologiques sont encore mal connus. Les prolamines sont relativement hydrophobes (pI proche de , ce qui supposerait une accumulation anarchique par interactions faibles dans le RE. Or il s’avère que leur structure quaternaire est organisée (Herman & Larkins, 1999). Les corps protéiques (CP) de diamètre les plus petits se composent de β- et γ-zéines, tandis que les α- et δ-zéines pénètrent cette matrice initiale et s’accumulent au cœur des CP, repoussant les β- et γ-zéines vers la périphérie. Bien que les mécanismes à l’origine de ce phénomène restent encore obscurs, il apparaît que les β- et γ-zéines organisent les α- et δ-zéines et les retiennent dans le RE. La mutation floury-2 du maïs suggère que les α-zéines mutantes restant ancrées dans la membrane plasmique désorganisent les corps protéiques en repoussant les β- et γ-zéines vers le centre du CP (Gillikin et al., 1997).

3. Adressage des protéines de réserve

Dans les cellules de réserve de la graine, les protéines peuvent suivre deux voies d’adressage : les prolamines restent généralement dans le RE et forment des corps protéiques, qui chez le blé pourraient être adressés vers la vacuole de réserve. La seconde voie, quant à elle, passe par l’appareil de Golgi et forme des pro-vacuoles, qui viennent fusionner avec la vacuole de réserve.

Si les prolamines semblent s’accumuler dans le RE, chez l’orge et le blé elles s’accumulent également dans la vacuole de stockage protéique (PSV). Les interactions entre prolamines S-riches et S-pauvres pourraient avoir une importance dans l’adressage sub-cellulaire (Herman & Larkins, 1999) : en effet, chez des mutants de l’orge déficients en γ3-hordéine, une protéine S-riche formant des ponts disulfures intramoléculaires, la β-hordéine (S-pauvre) s’accumule dans le RE, alors qu’elle est transportée dans la PSV chez le phénotype sauvage. Cette rétention dans le RE n’est pas observée chez des mutants déficients en γ1-hordéine et γ2-hordéine, protéines S-riches également, ce qui laisse sous-entendre que la γ3-hordéine contribue au transport de certaines hordéines S-pauvres vers les PSV (Rechinger et al., 1993). Il est également possible que les zones de biosynthèse des protéines soient séquestrées à différentes régions du RE par leurs ARNm. Ces mécanismes, bien connus chez les cellules animales et médiés grâce à des interactions avec le cytosquelette, permettraient de trier les protéines selon leur adressage en les synthétisant à proximité de la voie sécrétrice qu’elles doivent prendre. Une mise en évidence de ce phénomène a été trouvée chez l’endosperme de riz en cours de développement : les prolamines, formant des CP dans le RE, et les globulines 11S, synthétisées dans le RE et adressées à la PSV, ne sont pas transcrites dans les mêmes régions. Li et ses collaborateurs a ainsi mis en évidence que les ARNm codant pour la prolamine se retrouvent préférentiellement aux abords des CP, tandis que les ARNm codant pour les globulines 11S sont associés aux polysomes du RE cisternal. Similairement, le facteur d’élongation EL-1 nécessaire pour la traduction des protéines a été identifié sur le cytosquelette entourant les PB du maïs (Clore et al., 1996). Le cytosquelette semble donc jouer un rôle dans la ségrégation et la localisation des ARNm lors de leur traduction au niveau du RE et du RE-PB (exemple du maïs ou du riz). Enfin, il existe au sein même des chaînes polypeptidiques des protéines des séquences d’adressage vacuolaire, comme les séquences NTTP (séquence consensus NPIR en position N-terminale) ou CTTP (séquence hydrophobe en position C-terminale).

Au niveau de l’appareil de Golgi, deux types de petites vésicules vont venir fusionner avec la PSV : les DV (Dense Vesicule) contenant les protéines de réserve en cours de maturation, et les CCV (Clathrin Coated Vesicles) contenant des protéases (impliquées dans la maturation vacuolaire) (Robinson et al., 1998).

4. Les corps protéiques et les particularités du blé

Les CP sont-ils rattachés au RE ou s’en séparent-ils ? Des observations en MET et MEB laissent sous entendre que chez certaines espèces, le CP et le RE forment un continuum membranaire. Cependant, des études menées chez le blé montrent que les CP peuvent également bourgeonner et rejoindraient la PSV vraisemblablement par autophagocytose. Le blé serait donc capable d’utiliser une seconde voie, parallèlement à la voie de transport via l’appareil de Golgi, ici minoritaire. Les protéines de réserve rassemblées dans le RE polymérisées de manière ordonnée sont directement sécrétées. De manière encore plus complexe, il existerait deux types de corps protéiques. Lors d’isolements par fractionnement subcellulaire, des CP légers contenant des glyadines et des CP lourds à gluténines ont été mis en évidence (Rubin et al., 1992).

5. Les protéines dans la vacuole de réserve

Une fois dans la vacuole, les protéines peuvent subir de nouvelles étapes de maturation. La légumine, par exemple, passe de la forme trimère (prolégumine) à la forme hexamère sous l’action de la VPE (Vacuolar Processing Enzyme). Cette endopeptidase permet le clivage de la chaîne peptidique α-β en deux chaînes α et β (un pont disulfure formé dans le RE les reliant). Cette étape cruciale aboutit à l’assemblage final en hexamères. Si la protéine est mal repliée ou incapable de s’assembler, la VPE va alors la dégrader.

 
 
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