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La fusion contrôlée : le rêve du nucléaire « propre » |
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La fusion contrôlée : le rêve du nucléaire « propre »
Mettre le soleil en boîte : fantasme ou réalité à portée de main ? C'est pour tenter de répondre à cette question que le projet ITER a été conçu.Bientôt installé dans le Sud-Est de la France, ce réacteur expérimental permettra de tester la faisabilité technique de la fusion nucléaire contrôlée pour produire de l'énergie.
Le nucléaire qui réconcilie tout le monde
La France est le pays du nucléaire par excellence et produit environ 80% de son électricité à partir de l’atome. Même si ce mode de production d’énergie, qui n’émet aucun gaz à effet de serre, est largement encouragé en ces temps où le climat semble se réchauffer, certains pays souhaitent ne plus y avoir recours (l’Allemagne a voté la sortie du nucléaire pour 2020) ou prônent un mix énergétique (ensemble des sources d’approvisionnement) incluant d’autres sources d’énergie comme les énergies renouvelables. Ses détracteurs reprochent au nucléaire plusieurs défauts dont la production de déchets radioactifs à longue durée de vie et la dangerosité. Le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) (lien : www.iter.org) a pour but de réconcilier tout le monde et de prouver la faisabilité technique de la production d’énergie à partir d’un réacteur de fusion nucléaire. Ce principe novateur, s’il est validé technologiquement, permettra de s’affranchir (en partie) des défauts du nucléaire classique. En effet, ce procédé ne génère que peu de déchets et écarte tout risque d’emballement de la réaction nucléaire et donc toute menace d’explosion. Il a en outre l’avantage de faire appel à des combustibles présents en grandes quantités sur notre planète.
Le soleil comme modèle
Avec la fusion nucléaire contrôlée, la science a pour but de reproduire les réactions thermonucléaires naturelles qui ont lieu au sein des étoiles, à des températures dépassant l’imagination (plusieurs millions de degrés !). Ce procédé a pour objectif de copier notre soleil afin de produire de l’électricité en grande quantité, à partir d’éléments abondants comme l’eau et le lithium. Quelle est la différence avec les réacteurs nucléaires traditionnels ? Le principe physique est tout simplement… inversé ! Finie la fission, voici la fusion. Ici, l’énergie ne résulte pas de la cassure d’un noyau d’uranium, mais de l’union de deux éléments. Toutefois, de nombreuses barrières technologiques restent à franchir. ITER sera là pour tester et confirmer, ou non, la faisabilité de ce principe physique pour produire de l’énergie. Sa mission est précise : à partir d’un mélange de deutérium et de tritium, deux atomes ressemblant comme deux gouttes d’eau à de l’hydrogène (appelés « isotopes »), générer pendant plus de six minutes une puissance de 500 MW, soit dix fois plus que l’énergie injectée. Pourquoi six minutes ? Des expériences menées jusqu’ici ont permis de maintenir un plasma pendant ce temps record, mais sans que la fusion ait lieu. D’autres essais ont conduit à une réaction de fusion d’une puissance de 16 MW, mais pendant un peu moins d’une minute seulement. Les six minutes demandées à ITER constituent un intervalle de temps à la fois réaliste du point de vue des physiciens et minimum pour valider le principe de faisabilité d’une centrale nucléaire à fusion. Il ne fallait pas moins d’une collaboration internationale intégrant plus de la moitié de la planète pour mener ce projet à bien. La Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, la Russie et l’Union européenne ont réuni leurs forces pour relever ce défi extraordinaire.
Un projet monumental hébergé en Provence
ITER n’est pas une entreprise toute jeune. L’idée remonte à 1950, date à laquelle le physicien russe Andrei Sakharov invente le concept du réacteur à fusion nucléaire, qu’il baptise tokamak. C’est en 1985 que l’Union soviétique propose aux Etats-Unis de réaliser un tel réacteur. Le premier accord permettant la construction d’une installation expérimentale d’ampleur planétaire est signé en 1992 par les Etats-Unis, l’Europe, le Japon et la Russie. Mais la fusion nucléaire divise, en particulier à cause des coûts faramineux que sa mise au point implique et les Etats-Unis quittent le projet. Après moultES discussions, ils se rallient à nouveau au consortium international en 2003, suivi par la Chine et la Corée du Sud. S’ensuit une bagarre politique entre le Japon et la France pour décider où le réacteur expérimental ITER verra le jour. La sentence tombe le 28 juin 2006 : Cadarache, ville du Sud-Est de la France qui abrite déjà un site du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique), accueillera le tokamak. Les compensations pour le Japon ne sont pas minimes. Il recevra 20 % des commandes d’infrastructures (mais ne finance pourtant que 9 % de la construction) et fournira 20 % des effectifs, dont le directeur général. En outre, bien que les expériences dans le réacteur provençal soient prévues pour durer jusqu’en 2036, le successeur du réacteur d’ITER est déjà désigné. DEMO prendra la suite et sera construit sur le sol nippon.
L’Union européenne contribuera à hauteur de 45 % au budget de construction d’ITER (la France prenant en charge 10 %) et paiera 34 % des coûts associés à l’exploitation (7 % pour la France). La préparation du site de Cadarache, en Provence, sera finalisée en 2008. Les bâtiments de recherches seront construits entre 2009 et 2011. Il faudra attendre 2012 pour débuter l’assemblage du tokamak et 2016 pour entreprendre les premières expériences.
ITER, comment ça marche ?
Une centrale nucléaire à fusion fonctionnerait en principe avec des turbines mues par la vapeur produite grâce à la chaleur dégagée par la réaction nucléaire. Mais ITER ne sera pas une « vraie » centrale nucléaire dans la mesure où il ne produira pas d’électricité. La chaleur sera évacuée dans l’atmosphère par des tours de réfrigération. Le défi du projet, qui est, rappelons-le, expérimental, se situe au cœur du réacteur. L’enjeu est de démontrer la faisabilité de ce procédé à grande échelle, sa rentabilité énergétique et son contrôle dans la durée.
La fusion, un phénomène naturel difficile à copier
Reproduire un soleil à petite échelle n’est pas si simple. Pour cela, il est nécessaire de rapprocher deux atomes (du deutérium et du tritium) et de provoquer leur fusion, alors que ces derniers ont une forte tendance à se repousser l’un l’autre. Comment faire ? Un mélange de ces deux éléments est porté à une température de l’ordre de 100 millions de degrés. On obtient ce que l’on appelle un plasma fournissant assez d’énergie pour surmonter les forces de répulsion. Les noyaux se séparent de leurs électrons, acquièrent des vitesses incroyables et se heurtent violemment entre eux. En fusionnant, les noyaux du deutérium et du tritium créent un noyau d’hélium, libèrent un neutron ainsi qu’une une forte énergie, que l’on peut calculer grâce à la formule à la fois simple et géniale d’Albert Einstein : E=mc2, m représentant ici le défaut de masse induit par la réaction (la somme des masses des deux noyaux de départ est en effet supérieure à celle des éléments créés). Les produits de la réaction entretiennent la température du plasma et permettent un transfert d’énergie à la première paroi. L’énergie véhiculée par le flux de neutrons en constitue la principale source. Cette première cloison dégage alors suffisamment de chaleur pour vaporiser de l’eau située dans un circuit secondaire. Les futurs réacteurs à fusion, s’ils existent un jour, utiliseront cette vapeur pour entraîner des turbines et produire de l’électricité.
Est-ce que l’enceinte peut résister à une température de 100 millions de degrés ?
Aucun matériau ne peut résister à de telles températures. La solution : confiner le plasma au centre du réacteur, loin des parois, dans une bouteille magnétique immatérielle créée par des électro-aimants supraconducteurs refroidis à -269 °C ! Comme il est techniquement difficile de confiner un plasma durablement, la performance de ces bobines magnétiques constituera l’un des enjeux du projet.
Des combustibles qui ne manqueront pas
Un des atouts d’ITER est l’abondance des combustibles nécessaires à son fonctionnement. La première ressource, le deutérium, est présente dans l’eau de mer. Le tritium est quant à lui fabriqué à partir du lithium, que l’on trouve également dans l’eau de mer ainsi que dans les roches (0,18 g/m3 dans les océans et 2 g/tonne dans la croûte terrestre). Le tritium qui alimentera le futur réacteur de Cadarache proviendra vraisemblablement de réacteurs canadiens à eau lourde. Mais l’objectif est à terme de produire du tritium à partir du lithium au sein même des installations de fusion, ce qu’ITER tentera via deux modules d’expérimentation.
La fusion nucléaire comparée aux autres sources d’énergie
Le nucléaire, avec la fission et peut-être demain la fusion, participera sans doute de plus en plus au mix énergétique mondial. Une des raisons à cela : le changement climatique qui ne fait aujourd’hui plus guère de doute. Bien que le nucléaire traditionnel (basé sur la fission) ne constitue pas une source d’énergie vraiment « propre » car il génère des déchets hautement radioactifs à longue durée de vie, il a le gros avantage de n’émettre aucun dioxyde de carbone, contrairement aux hydrocarbures comme le charbon, le pétrole et le gaz. De son côté la fusion, qui demandera 50 années, voire plus, pour être totalement au point, ne pourra répondre à l’urgence environnementale. Le nucléaire traditionnel a donc encore de beaux jours devant lui.
Besoin de remplacer les énergies fossiles
Considérations environnementales mises à part, le remplacement progressif des énergies fossiles s’avère incontournable. Les ressources s’amenuisent, et même si de nouvelles technologies existent pour aller chercher du pétrole de plus en plus profond (plus de 2000 m !) ou pour extraire et traiter des huiles non conventionnelles (comme le pétrole extra-lourd du Venezuela ou les sables bitumineux canadiens), la pénurie inexorable des ressources en hydrocarbures engage les industriels et les Etats à développer de nouvelles sources d’énergie. Outre le besoin de remplacer les énergies fossiles, il faudra faire face à une augmentation vertigineuse de la consommation d’énergie, en partie due à l’essor de pays émergents comme la Chine ou l’Inde. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la demande mondiale en énergie primaire devrait croître de 55 % entre 2005 et 2030 !
Quelle est donc la place de la fusion nucléaire dans le paysage énergétique de demain ? Si ce procédé est validé, il prendra une place de choix et devrait même remplacer à terme le nucléaire traditionnel. On a cité l’amenuisement des ressources en gaz et en pétrole, qui est indéniable, mais il faut aussi mentionner la raréfaction de l’uranium, combustible de base du nucléaire à fission, qui pourrait disparaître de la planète d’ici une centaine d’années.
La fusion nucléaire : une solution sûre ?
Contrairement au nucléaire utilisé dans les centrales actuelles, le principe de la fusion exclut tout emballement spontané de la réaction et donc tout risque d’explosion. En effet, il suffit de couper l’arrivée du combustible pour que la réaction de fusion s’arrête d’elle-même. A la moindre perturbation, des systèmes de sauvegarde automatiques stoppent les vannes d’entrée. Le plasma se refroidit. Le deutérium et le tritium n’ont plus assez d’énergie pour vaincre leur force de répulsion et la fusion s’arrête. Ce qui n’est pas le cas dans les centrales nucléaires classiques à fission dans lesquels le contrôle de la réaction est un sujet complexe. En effet, une fois la réaction de fission enclenchée, celle-ci s’auto-alimente et gagne en puissance. C’est ce que l’on appelle une réaction en chaîne.
La fusion nucléaire : une solution propre ?
A la différence de la fission, le seul déchet direct que produit la réaction de fusion est l’hélium, un gaz inerte tout à fait inoffensif. ITER ne produira donc pas de déchets de haute activité. Une pollution radioactive indirecte aura cependant lieu, via le bombardement des matériaux de l’enceinte par les neutrons.
ITER dans la tourmente : levée de boucliers des écologistes et de certains scientifiques
Malgré les avantages de la fusion face au nucléaire classique, le projet ITER ne fait pas l’unanimité. Ses détracteurs lui reprochent d’être un gouffre financier, ne croient pas à sa faisabilité technique et dénoncent un risque environnemental. Si les écologistes sont les premiers à monter au créneau, certains scientifiques de renommée ont également fait part de leurs doutes, voire de leur opposition. Par exemple, Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique en 1991, a déclaré en 1996 : « Je n’y crois malheureusement plus, même si j’ai connu les débuts enthousiastes de la fusion. » A l’Académie des Sciences, Claude Allègre s’est montré virulent : « ITER est encore un de ces projets de prestige qui ont, dans le passé, épuisé les finances de notre recherche ».
Il est indiscutable que les défis d’ITER sont de taille. Le maintien du plasma demandera de mieux comprendre la physique de cet état mal maîtrisé. Par ailleurs, il faudra développer de nouvelles couvertures pour protéger les matériaux de l’enceinte. Pour l’heure, celles des réacteurs expérimentaux se contentent de résister quelques secondes.
Pour de plus amples informations
• Agence ITER France (lien: http://www.itercadarache.org)
• Centre de développement du projet ITER, en anglais (lien: http://www.iter.org)
• CEA (lien : http://www.cea.fr/energie/dossier_iter/la_fusion_controlee)
• Réseau « sortir du nucléaire » (lien : http://www.sortirdunucleaire.org)
• Greenpeace (lien : http://www.greenpeace.org/france)
ITER en chiffres
• Site de 180 hectares à Cadarache, en Provence
• Premières expériences prévues en 2016
• Durée d’exploitation : 20 ans
• Financement : € 9,9 milliards (dont 46 % pour la construction, 48 % pour l’exploitation, et 6 % pour le démantèlement)
• Volume de plasma : environ 840 m3
• Principal objectif scientifique : réaliser et étudier des plasmas produisant 500 MW de puissance de fusion sur des durées de 400 secondes (soit un peu plus de 6 minutes)
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