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  La physique des technologies - III. Le stockage magnétique et électronique
 
La physique des technologies - III. Le stockage magnétique et électronique

Par Pierre Hirel
Publié le mercredi 6 février 2008. Dernière modification le mercredi 6 février 2008. 

La physique a auprès du grand public, et même des étudiants parfois, une réputation de science austère et bien éloignée de la réalité. Elle fait pourtant partie de notre quotidien, qu’il s’agisse de phénomènes naturels ou bien de dispositifs que nous pouvons utiliser dans notre vie de tous les jours : téléphones portables, radio, télévision, Internet, fours à micro-ondes... Avant la mise au point de ces dispositifs, il y a eu la découverte de propriétés physiques des matériaux, des ondes, des interactions entre différents objets ; ce n’est qu’ensuite qu’ont pu se développer leur exploitation technique. Nous nous proposons dans cette série d’articles, de décrire quels principes physiques fondamentaux se cachent derrière les technologies actuelles.

I. Les dispositifs d’affichage
II. Le stockage optique
III. Le stockage magnétique et électronique


 

Introduction

Dans l’article précédent, nous traitions des médias optiques, qui ont pour vocation de stocker de l’information (essentiellement multimédia : texte, musique, vidéos...) de façon à la diffuser facilement ; en effet les médias optiques sont assez insensibles à leur environnement, dans une large gamme de températures, et même en présence de champs électriques ou magnétiques (lignes haute tension) à proximité. Ils ne répondent cependant pas à tous les besoins, leurs inconvénients étant des procédés de lecture/écriture lents, et des capacités de stockage restreints, ce qui ne convient pas à une utilisation ou à un accès fréquent à l’information. Pour les applications qui nécessitent d’accéder souvent et rapidement à l’information, des dispositifs électroniques sont préférables, notamment : les disques durs, et les mémoires de type flash, utilisées dans les clés USB ou de nombreuses cartes mémoires.

Dans cet article nous tâcherons de décrire les principes physiques permettant la lecture et l’enregistrement de l’information sur des médias de stockage magnétiques (cassettes audio/vidéo, disquettes et surtout, disques durs) et électroniques (mémoires flash). Là encore, le langage binaire (voir le précédent article) est de rigueur.

1 - Le stockage magnétique : les disques durs

L’enregistrement magnétique ne date pas d’hier. On pourrait presque dire que c’est la Terre elle-même qui a inventé le principe ! En effet certaines roches magmatiques contiennent du fer qui, lors d’éruptions volcaniques ou de coulées de laves, a pu s’aimanter du fait du champ magnétique terrestre, et cette aimantation s’est retrouvée figée par le refroidissement des roches. Aujourd’hui, ces roches peuvent être datées, nous permettant de savoir comment était orienté le champ magnétique terrestre à une époque donnée. Ainsi, la Terre a vu une partie de son évolution enregistrée sous forme magnétique.

Dans les technologies développées par l’Homme, on peut faire remonter l’enregistrement magnétique à la fin du XIXe siècle, avec la découverte du danois Valdemar Poulsen qui travaille pour la compagnie de téléphone de Copenhague. Il remarque qu’en posant un aimant sur un barreau de fer, puis en retirant l’aimant et en plongeant le barreau dans de la limaille de fer, la limaille ne reste collée au barreau qu’à l’endroit où l’aimant avait été posé. Il imagine donc qu’en aimantant le barreau de façon variable, il doit être possible d’y enregistrer de l’information. Très vite le barreau devient fil de fer (et dans l’avenir se transformera en bandes magnétiques), sur lequel l’information est enregistrée à l’aide d’un électroaimant. Cassettes audio puis vidéo, disquettes, disques durs, tous enregistrent l’information sur des matériaux qui réagissent aux champs magnétiques : les matériaux ferromagnétiques.

Beaucoup de matériaux ne conservent pas de trace de leur passé magnétique. Ceux qui ne sont pas du tout influencés par les champs magnétiques sont simplement appelés matériaux non-magnétiques ; c’est le cas par exemple du bois ou du plastique, qui ne réagissent pas à un aimant (ils ne sont pas attirés ni repoussés). Les matériaux qui sont attirés par les champs magnétiques, mais ne conservent pas d’aimantation une fois le champ retiré, sont dits paramagnétiques ; un bon exemple est la porte de la plupart des réfrigérateurs : un aimant posé dessus y restera collé parce que son champ magnétique agit sur la porte, mais une fois l’aimant retiré la porte ne reste pas aimantée (elle n’attirera pas une fourchette par exemple).

Au contraire, un matériau ferromagnétique est capable de s’aimanter, et conserve son aimantation même après que le champ appliqué ait été retiré. Les aimants sont tous fabriqués avec des matériaux ferromagnétiques. De tels matériaux, lorsqu’ils ne sont pas aimantés, possèdent des zones appelées domaines de Weiss (Fig.1.1). Chacun de ces domaines possède une orientation magnétique [1]. Mais comme les orientations magnétiques sont réparties de façon complètement aléatoire, le matériau reste globalement non-aimanté. Lorsqu’on applique un champ magnétique intense, les domaines de Weiss vont avoir tendance à tous s’orienter dans le même sens que le champ appliqué, donnant ainsi son aimantation au matériau. Par la suite, même si le champ extérieur est retiré, le matériau ferromagnétique conservera son aimantation.

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Fig.1.1 - Evolution d’un matériau ferromagnétique soumis à un champ magnétique extérieur.
Au départ, le matériau d’origine possède différents domaines de Weiss, tous orientés de façon aléatoire ; globalement le matériau n’est pas aimanté. En présence d’un champ magnétique extérieur, les domaines vont progressivement s’orienter dans le même sens que le champ. Même si l’on retire le champ appliqué, les domaines resteront dans cette configuration : le matériau reste aimanté.
Crédits : Wikipedia/Licence GNU.

Une fois aimanté, un matériau ferromagnétique ne pourra plus perdre son aimantation que s’il atteint une température critique, appelée température de Curie, au-dessus de laquelle les domaines magnétiques se réarrangent selon un ordre aléatoire ; ou bien en lui appliquant un champ magnétique dans l’autre sens, d’une intensité appropriée, appelé champ coercitif. L’application d’un champ plus intense va inverser l’orientation magnétique des domaines de Weiss, inversant l’aimantation du matériau. La courbe d’aimantation d’un ferromagnétique est appelée courbe d’hysteresis (voir Fig.1.2). C’est grâce au comportement décrit par cette courbe, et en particulier du fait qu’ils restent aimantés même en l’absence de champ extérieur, que les matériaux ferromagnétiques sont intéressants pour l’enregistrement.

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Fig.1.2 - Le cycle d’hysteresis d’un matériau ferromagnétique.
En haut : au départ (point A) le matériau n’est pas aimanté. L’application d’un champ magnétique H va lui faire prendre une aimantation (point B). Lorsque le champ magnétique appliqué est retiré, le matériau conserve son aimantation (C) : c’est devenu un aimant.
En bas : le cycle d’hysteresis complet. Il faut appliquer un champ magnétique -Hc, appelé champ coercitif, pour faire perdre son aimantation au matériau (D). L’application d’un champ -H plus intense va aimanter le matériau dans l’autre sens (E). Là encore, lorsqu’on retire le champ magnétique appliqué le matériau conserve son aimantation (F), et un champ coercitif +Hc est alors nécessaire pour lui faire perdre son aimantation (G). L’application d’un champ +H plus intense inversera de nouveau son aimantation (B). Le cycle peut être parcouru à volonté, aimantant ainsi le matériau dans un sens ou dans l’autre.
Crédits : P.Hirel/Spectrosciences 2008.
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Fig.1.3 - Principe de fonctionnement d’un électroaimant.
En faisant passer un courant alternatif i dans la bobine, on génère un champ magnétique H dans l’entrefer. C’est ce champ H qui va servir à aimanter le matériau ferromagnétique sur la bande magnétique ou sur le plateau du disque dur.
Crédits : P.Hirel/Spectrosciences 2008.

L’écriture est généralement assurée par un électroaimant (Fig.1.3). Le principe est basé sur l’électromagnétisme le plus simple : tout courant (soit un déplacement de charge électrique) provoque l’apparition d’un champ magnétique. La bobine est donc soumise à un courant électrique, qui induit un champ magnétique dans l’entrefer. Dans les cassettes audio, c’est le son enregistré qui module le courant et donc le champ magnétique ; la bande sera ainsi plus ou moins aimantée au cours de l’enregistrement. On parle d’enregistrement analogique car le matériau peut être plus ou moins aimanté de manière continue. Par opposition, dans les disques durs c’est un enregistrement numérique, c’est-à-dire utilisant le langage binaire -des 0 et des 1. Selon que le courant passe dans un sens ou l’autre dans la bobine, le champ magnétique induit sera orienté dans un sens ou dans l’autre, permettant ainsi de choisir le sens d’aimentation du matériau.

Pour les dispositifs utilisant des domaines magétiques assez étendus (bandes magnétiques, cassettes audio et vidéo, les premiers disques durs...), la lecture est assurée par le même dispositif, mais en utilisant le principe d’électromagnétisme inverse : toute variation de champ magnétique provoque un champ électrique. Le champ magnétique du matériau va ainsi induire un courant électrique dans la bobine, qui pourra être amplifié et exploité par un circuit électronique. Mais, tandis que les électroaimants peuvent voir leurs dimensions et leur courant se réduire pour aimanter des domaines magnétiques toujours plus petits (et donc enregistrer toujours plus de données sur une même surface), ils ne sont pas suffisamment précis pour lire les données s’ils passent au-dessus d’un domaine trop faiblement aimanté. Ainsi au cours de leur miniaturisation, les têtes de lecture (des disques durs notamment) se sont trouvées confrontées à une barrière : il fallait utiliser un autre procédé pour lire les données...

Il a fallu une petite révolution dans la physique pour pousser la miniaturisation toujours plus loin. Cette révolution porte un nom : la magnétorésistance géante ou GMR (pour Giant MagnetoResistance), co-découverte par le français Albert Fert et l’allemand Peter Grünberg. Il a fallu attendre 19 ans pour que la découverte soit récompensée par le prix Nobel de Physique 2007. Pourtant, à l’époque les constructeurs de disques durs s’étaient rués sur la découverte. Explications.

Alors qu’un électroaimant utilise la charge de l’électron pour générer des courants électriques et des champs magnétiques dans les matériaux, la GMR exploite une autre propriété de l’électron : son spin, qui le fait agir un peu comme un minuscule aimant [2]. Cela veut dire, entre autres, qu’il subit l’influence des champs magnétiques. Et c’est là que l’histoire devient intéressante : dans les matériaux ferromagnétiques, il y a des électrons et des champs magnétiques. Comment exploiter l’interaction entre les deux ?

Nous venons de le voir, les électrons se comportent comme de petits aimants du fait de leur spin. Dans un matériau qui est aimanté, leur spin va s’aligner soit dans le sens du champ magnétique (on parle alors de spin haut, ou "up"), soit dans le sens opposé (spin bas, ou "down") ; un peu à la même manière que l’aiguille d’une boussole s’oriente selon le sens du champ magnétique terrestre. Lorsqu’on fait passer un courant dans le matériau, cela revient à faire circuler les électrons ; ceux qui ont un spin up vont circuler sans difficulté, en clair la résistance électrique du matériau sera faible pour eux. Mais ceux qui ont un spin down vont être beaucoup diffusés, et vont ressentir une résistance électrique élevée. C’est là tout l’intérêt de la magnétorésistance : selon leur spin, les électrons ne vont pas ressentir la même résistance électrique, et le courant aura plus ou moins de mal à passer.

Si les électrons doivent traverser plusieurs matériaux aimantés, leur spin sera aligné ou pas avec les différents champs magnétiques, et la résistance électrique qu’ils subiront va changer. Les têtes de lecture des disques durs sont généralement faites d’un empilement d’un ferromagnétique, d’un matériau non-magnétique, et d’un autre ferromagnétique (voir Fig.1.4). Si les deux matériaux ferromagnétiques sont aimantés dans des sens différents (on parle de configuration anti-parallèle), alors les électrons ne pourront pas avoir un "bon spin" dans les deux, et ils seront forcément diffusés dans l’un des matériaux : la résistance électrique sera grande. Si au contraire, les ferromagnétiques sont aimantés dans le même sens (configuration parallèle), disons vers le haut, alors les électrons de spin up ne verront qu’une très faible résistance électrique, tandis que ceux de spin down verront une très grande résistance électrique dans les deux matériaux.

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Fig.1.4 - La magnétorésistance géante à l’oeuvre lors du passage d’un courant dans une tête de lecture d’un disque dur.
La structure est faite d’un matériau ferromagnétique dur, qui garde toujours la même orientation ; d’un matériau non-magnétique (NM) ; et d’un ferromagnétique doux, capable de s’aimanter dans un sens ou l’autre selon le champ magnétique qu’il subit. Le champ magnétique B provient des données enregistrées sur le plateau en-dessous de la tête de lecture.
A gauche : lorsque les deux ferromagnétiques sont aimantés dans des sens opposés, les électrons de spin up et down sont fortement diffusés dans le matériau qui ne correspond pas à leur orientation de spin, équivalent à une grande résistance des deux ferro. A droite : lorsque les ferromagnétiques sont tous les deux aimantés vers le haut, les électrons de spin up ne sont presque pas diffusés, ce qui équivaut à une résistance électrique faible ; les électrons de spin down par contre sont diffusés dans les deux matériaux.
Crédits : P.Hirel/Spectrosciences 2008.

Mais, comment aimanter les matériaux ferromagnétiques de façon parallèle ou anti-parallèle ? L’un des ferromagnétiques est dit "dur", c’est-à-dire qu’il a un champ coercitif très élevé ; autrement dit il faudrait un champ magnétique très intense pour changer son aimantation, et dans la pratique cela n’arrivera jamais : ce matériau conserve toujours la même aimantation. L’autre ferromagnétique est dit "doux", et possède un champ coercitif faible ; les champs magnétiques provenant de la bande magnétique ou du plateau d’enregistrement suffiront donc à le faire changer d’orientation.

Ainsi la tête de lecture GMR, en passant au-dessus du plateau du disque dur, va passer sur des zones aimantées dans un sens ou dans l’autre, et va donc subir des variations de champ magnétique, qui vont à leur tour se traduire en variations de résistance électrique. Le courant issu de la tête de lecture est ensuite amplifié et analysé par un circuit électronique pour reconstituer les 0 et les 1 enregistrés sur le disque -et donc les données.

En 2006, la miniaturisation a amené les constructeurs à l’enregistrement perpendiculaire (Fig.1.5) : sur le plateau, les domaines magnétiques ne sont plus aimantés le long de la piste de lecture, mais perpendiculairement à elle, autrement dit ils sont aimantés vers le haut ou vers le bas du plateau. Le principe de lecture reste le même, mais la technique a permis de réduire les dimensions des domaines, et donc d’augmenter la quantité de données qui peuvent être écrites sur une même surface. Pour l’utilisateur, cela veut dire des disques durs de plus grosse capacité ; c’est en effet grâce à cette technique que des disques durs d’un tera-octet (1024 Go) ont pu être fabriqués.

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Fig.1.5 - A gauche : l’enregistrement magnétique standard ("parallèle") ; à droite : l’enregistrement perpendiculaire.
La taille des domaines magnétiques a pu être diminué, celle des têtes de lecture aussi.
Crédits : P.Hirel/Spectrosciences 2008.

2 - Le stockage électronique : les mémoires flash

Les mémoires de type flash sont intégrées dans les clés USB, ainsi dans de nombreuses cartes mémoires de type MS, SD, MMC etc. utilisées dans nombre d’appareils portables (téléphones, PDA, appareils photo numériques...). Leur intérêt est leur très petite taille, l’absence de pièces mécaniques (qui s’endommageraient rapidement lors de chocs) et leur capacité à conserver l’information sans avoir besoin d’une alimentation électrique. Par opposition, citons la mémoire vive ou RAM (Random Access Memory, mémoire à accès aléatoire) qui nécessite une alimentation électrique permanente pour conserver les données ; sans alimentation, les données sont perdues. En revanche, les mémoires RAM ont de meilleurs temps d’accès, car elles permettent l’accès aléatoire aux données ; les mémoires flash au contraire, ne peuvent accéder aux données que par blocs, comme nous allons le voir. Nous ne parlerons pas ici des mémoires vives puisqu’elles ne font pas à proprement parler partie des dispositifs de stockage, mais uniquement des mémoires flash.

Avant d’expliciter le fonctionnement des mémoires flash, il est important de comprendre le fonctionnement d’une structure MOS. Ces structures sont très utilisées en électronique, pour fabriquer des transistors, et le principe est également exploité dans les cellules des mémoires flash. MOS signifie "Métal/Oxyde/Semiconducteur", conformément à l’empilement des matériaux qui la composent (voir Fig.2.1) : le métal constitue ce qu’on appelle la grille (G) ; l’oxyde (O) est un matériau isolant, la plupart du temps un oxyde de silicium (SiO2 ou SiO3) ; et le semiconducteur est souvent du silicium, que l’on va prendre ici dopé P [3]. De chaque côté, des semiconducteurs dopés de l’autre nature (donc ici, dopé N) constituent ce qu’on appelle le drain et la source.

Pour rappel, un semiconducteur en temps normal ne peut pas conduire le courant, parce que sa bande de conduction est plus haute en énergie que son niveau de Fermi ; en temps normal la structure MOS sera donc isolante : aucun courant ne peut passer entre le drain et la source. Mais lorsque l’on applique une tension VG à la grille, il se produit une courbure de bandes dans le semiconducteur dopé P. Si la tension VG devient supérieure à une certaine valeur critique notée Vth, alors la bande de conduction du semiconducteur P passe en-dessous de son niveau de Fermi. Il se forme alors dans le matériau une zone enrichie en électrons de conduction : un canal se forme, qui autorise les électrons à passer du drain vers la source. La structure permet désormais de conduire le courant.

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Fig.2.1 - Principe de fonctionnement d’un transistor MOS.
La structure est composée d’un grille métallique (M), d’un isolant ou oxyde de grille (O), et d’un semiconducteur dopé P (S). Des semiconducteurs dopés N servent de drain (D) et de source (S).
A gauche : lorsqu’aucune tension n’est appliquée à la grille, le courant ne peut pas circuler entre le drain et la source, parce que le semiconducteur présente un large gap.
A droite : l’application d’une tension sur la grille va diminuer le niveau de Fermi dans le métal, provoquant une courbure de bandes dans le semiconducteur. Si la tension de grille est assez forte, la bande de conduction va être tellement courbée qu’elle va passer en-dessous du niveau de Fermi et va donc se peupler d’électrons : un canal de conduction se forme ainsi entre le drain et la source, et le courant passe.
Crédits : P.Hirel/Spectrosciences 2008.

Problème : dès que l’on enlève la tension de grille, la structure redevient isolante ; elle ne peut donc pas retenir l’information. Ce genre de structure est utile pour les mémoires de type RAM, qui vont "rafraîchir" la cellule à intervalles réguliers pour qu’elle ne perde pas son information ; mais ici nous nous intéressons à la mémoire flash, il faut donc trouver un moyen de retenir l’information même en l’absence de rafraichissement.

La solution retenue a été d’ajouter une seconde grille, dite grille flottante, faite dans un matériau à base d’azote -on parle alors de structure MNOS [4] (voir Fig.2.2). Comme cette grille est entourée d’un matériau isolant, si l’on y injecte des électrons, ces électrons y resteront piégés avec une durée de vie de plusieurs années.

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Fig.2.2 - Structure d’une cellule de mémoire flash.
Les mémoires flash sont constituées de multiples cellules, adressées sous forme de lignes (wordline) et de colonnes (bitline). Physiquement, c’est une structure MOS un peu plus avancée que l’on retrouve à l’intérieur de chaque cellule.
Crédits : P.Hirel/Spectrosciences 2008.

Grosso modo, c’est grâce aux électrons piégés dans cette grille flottante qu’est retenue l’information (Fig.2.3). Parlons d’abord de la lecture. En temps normal, lorsqu’il n’y a pas d’électron excédentaire dans la grille flottante, la structure MNOS se comporte comme une structure MOS classique. Pour la lire, on applique une tension à la grille de contrôle, égale à la tension critique Vth, ce qui permet de faire circuler le courant dans la structure ; cela équivaut à lire un 1. En revanche, si des électrons sont piégés dans la grille flottante, le comportement est différent. Lors de la lecture, la même tension Vth est appliquée à la grille de contrôle, mais cette fois cette tension est écrantée, autrement dit amoindrie, à cause des électrons présents dans la grille flottante. Du coup, la courbure de bandes est aussi amoindrie, et il n’y a pas de canal à se former dans le semiconducteur : la structure est isolante, ce qui équivaut à lire un 0.

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Fig.2.3 - Lecture d’une cellule MNOS.
A gauche : lecture standard, équivalent à celle d’une structure MOS ; l’application d’une tension à la grille de contrôle crée un canal de conduction dans le semiconducteur ; le courant passe, c’est donc un 1 qui est lu.
A droite : des électrons sont piégés dans la grille flottante, écrantant ainsi la tension appliquée à la grille de contrôle. Le semiconducteur ressent une tension moindre, il ne se crée donc pas de canal et le courant ne peut pas circuler : c’est un 0 qui est lu.
Crédits : P.Hirel/Spectrosciences 2008.

Ainsi, la présence d’électrons ou pas dans la grille flottante équivaut à un 0 ou un 1 enregistré dans la structure. Nous l’avons vu, ces électrons ont une durée de vie de plusieurs années, et ne nécessitent donc pas d’alimentation électrique pour retenir l’information. Mais, comment fait-on pour ajouter ou enlever des électrons dans cette grille flottante, autrement dit pour écrire un 0 ou un 1 ?

L’ajout d’électrons dans la grille flottante se fait généralement par une technique appelée injection d’électrons chauds (voir Fig.2.4). Une tension élevée est appliquée à la grille de contrôle pour provoquer la formation du canal, et en même temps une tension est également appliquée au drain, ce qui provoque un "pincement" du canal. Les électrons sont néanmoins accélérés dans le canal, et passent dans la grille flottante par effet tunnel. Il ne peuvent pas faire marche arrière car ils n’ont plus assez d’énergie : ils sont emprisonnés dans la grille flottante.

Pour retirer les électrons excédentaires de la grille flottante, c’est l’effet tunnel inverse qui est utilisé, dit effet tunnel Fowler-Nordheim. Une tension importante (de l’ordre de 10 V), mais négative cette fois, est appliquée à la grille de contrôle, repoussant ainsi fortement les électrons, et leur fournissant assez d’énergie pour qu’ils passent l’oxyde par effet tunnel et soient évacués par la source.

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Fig.2.4 - Ecriture dans une mémoire de type flash.
A gauche : écriture d’un 0. L’application d’une tension importante sur la grille de contrôle, et d’une tension positive sur le drain, va "pincer" le canal et forcer l’injection d’électrons dans la grille flottante.
A droite : écriture d’un 1. L’application d’une tension négative importante sur la grille de contrôle va fortement repousser les électrons, qui passeront par effet tunnel et seront évacués.
Crédits : P.Hirel/Spectrosciences 2008.

Ainsi, la lecture ou l’écriture d’un 0 peut se faire bit par bit ; en revanche pour écrire un 1 ou effacer un bit (le réinitialiser à 1), nous venons de voir qu’il faut appliquer une très grande tension à la grille de contrôle, et cette tension ne peut pas s’appliquer qu’à un bit, mais à toutes les cellules qui sont reliées à la ligne (wordline), remettant ainsi toutes les cellules qui y sont reliées dans l’état 1. Cet ensemble de cellules est appelé bloc. C’est pour cette raison que l’on dit généralement que les mémoires flash ne sont pas des mémoires à accès aléatoire (RAM), mais des mémoires de type EEPROM [5]. Ces dernières sont aussi employées comme mémoires dans les BIOS et firmwares des composants d’ordinateurs, car elles savent conserver l’information sans avoir besoin d’alimentation extérieure. Lorsque l’on efface ou réécrit ces mémoires, cela se fait aussi par blocs ; les tout premiers types d’EEPROM nécessitaient même d’effacer toutes les données avant de réécrire. Lorsqu’on reprogramme ces mémoires, on parle de "flashage" (flasher un BIOS ou un firmware). Le terme "flash" a été choisi par l’équipe de scientifiques à l’origine de ces mémoires, car la méthode d’effacement, leur rappelait le flash d’un appareil photo.

3 - Le futur du stockage

Les matériaux utilisés dans les disques durs commencent à atteindre leurs limites avec la miniaturisation. Aussi, de nouvelles solutions sont envisagées pour servir de bits : nanocanaux, nanoparticules, structures auto-organisées, lancent des pistes prometteuses pour un stockage hyper-dense, approchant de la taille de l’atome (voir par exemple notre sélection de brèves ; voir ausi Ref.10). La physique d’aujourd’hui cherche les matériaux qui, demain, permettront de stocker toujours plus d’information par cm².

Une autre approche est également sur les rails, depuis un peu plus longtemps. Cela fait longtemps que l’on parle d’elle, pourtant la grande amélioration des performances des mémoires vives (RAM) et flash font trainer son apparition sur la marché : c’est la mémoire MRAM, pour Magnetic Random Access Memory (mémoire magnétique à accès aléatoire). Contrairement aux mémoires flash dont nous venons de parler, ou aux mémoires RAM existantes, la MRAM n’utilise pas la charge électique de l’électron pour sauvegarder l’information, mais un champ magnétique. Grâce à un dispositif constitué de deux couches ferromagnétiques, similaire aux têtes de lecture des disques durs que nous avons décrit plus haut, la cellule d’une MRAM enregistrera l’information dans l’orientation magnétique de l’un des matériaux ferromagnétiques. Pour la lecture, une tension sera appliqué à travers le dispositif, et là encore, l’effet de magnétorésistance géante (GMR) fera passer le courant avec plus ou moins de résistance, correspondant à un 0 ou un 1. La MRAM fait donc partie des mémoires magnétiques, basées sur la spintronique.

Les avantages de la MRAM sont des opérations (lecture/écriture) rapides (plus rapides que les mémoires flash), non-volatile (l’information reste stockée sans avoir besoin d’alimentation électrique), et donc de faible consommation électrique ; en somme, la MRAM semble avoir tous les avantages, sans les inconvénients. Les promoteurs de la MRAM vont jusqu’à dire qu’elle pourra remplacer n’importe quel type de mémoire, que ce soit dans les clés USB, les disques durs, ou les mémoires vives. Pourtant, des efforts restent à faire au niveau de la miniaturisation, pour atteindre des densités d’information et des coûts de fabrication (donc de vente) qui soient concurrentiels avec les mémoires existantes.

Conclusion

Les dispositifs dont nous venons de parler sont des concentrés de technologie. Basés sur des règles de physique fondamentale (physique quantique, spin des électrons, électromagnétisme...), leur fonctionnement a été rendu possible grâce à la physique des matériaux : magnétorésistance, semiconducteurs dopés, hétérosctructures, font fonctionner ces dispositifs ; restait ensuite à l’industrie, à les miniaturiser et à trouver le moyen de les fabriquer en masse. Aujourd’hui, toute cette physique est encore en branle pour trouver des matériaux toujours plus performants, permettant de s’aimanter, de permettre ou non le passage du courant, d’avoir des résistances électriques plus faibles... Tout cela pour, potentiellement, commencer à imaginer les dispositifs de stockage du futur.

Nous n’avons abordé ici qu’un type d’hétérostructure, le transistor MOS, mais il en existe bien d’autres régissant le fonctionnement de composants électroniques : il existe différents types de transistors, diodes... Ces composants sont utilisés partout, du poste de radio au microprocesseur où ils se comptent en millions, en passant par les cellules de mémoire (que nous venons d’aborder)... Nous en aborderons le fonctionnement et la conception dans un prochain article.

 
 
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