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  Arabidopsis thaliana et Thellungiella halophila, plantes modèles dans l’étude du stress salin
 
Arabidopsis thaliana et Thellungiella halophila, plantes modèles dans l’étude du stress salin

Par Guillaume Calu
Publié le lundi 9 janvier 2006. Dernière modification le lundi 9 janvier 2006. 
L’étude des mécanismes physiologiques et génétiques à l’origine du stress salin chez les plantes supérieures a mené les biologistes à choisir deux plantes-modèles : Arabidopsis thaliana et Thellungiella halophila.

 

Introduction

L’eau est une ressource indispensable pour les Végétaux. Sa présence est une condition incontournable pour que toute plante puisse se développer et assurer ses fonctions physiologiques vitales. Cependant, cette ressource n’est pas toujours facile d’accès dans le sol, suivant le milieu naturel. Ainsi les plantes présentes sur des surfaces sèches ou salées vont se retrouver exposées à un stress hydrique important, contre lequel elles devront lutter pour survivre. Dans le cas d’un stress salin, une double problématique se pose à l’organisme végétal : D’un côté, la présence de sel, en abaissant le potentiel hydrique du sol, menace l’approvisionnement en eau de la plante. De l’autre, l’absorption de sel dans les tissus menace le bon fonctionnement physiologique des cellules. Face à ce danger, toutes les plantes ne sont pas égales. Certaines, nommées glycophytes, ne sont pas capables de supporter la présence de sel. Les halophytes, au contraire, ont développé des réponses physiologiques pour assurer leur approvisionnement en eau tout en préservant leur métabolisme. Afin de mieux comprendre les mécanismes physiologiques et moléculaires mis en jeu lors du stress salin, deux brassicacées modèles ont été choisies : Arabidopsis thaliana (glycophyte) et Thellungiella halophila (halophyte). Les enjeux de ces études sont nombreux ; et notre compréhension détaillée des mécanismes du stress osmotique pourrait ouvrir la voie à une meilleure maîtrise de nos pratiques agronomiques en milieu saumâtre.

Les Végétaux face au stress salin

- Assurer son apport en eau sans s’intoxiquer

La première difficulté d’une plante en milieu salin est donc d’assurer son apport en eau. Pour cela, il faut que la plante puisse ajuster la pression osmotique de ses tissus par rapport à la pression osmotique du sol. Ce phénomène, nommé l’épictèse, permet donc à la plante d’assurer une hypertonie constante (voir tableau 1.1).

Les plantes halophytes présentent ainsi un haut pouvoir d’épictèse, renforcé par l’absorption de sel et sa conduite vers les feuilles, contrairement aux glycophytes. Les ions sodium et chlore sont stockés dans la vacuole, et permettent ainsi l’établissement d’une pression osmotique interne importante. Cependant, les halophytes sont contraints de stocker ce sel dans leurs vacuole pour éviter toute intoxication. En retour, l’augmentation de la pression osmotique vacuolaire risque d’entraîner une succion importante sur le cytosol, dont la déshydratation nuirait au fonctionnement du métabolisme en désorganisant la structure tertiaire des protéines, leur faisant ainsi perdre leur activité.

- Les Osmoprotecteurs

Les halophytes (mais aussi occasionnellement des glycophytes) sont capables de lutter contre ce phénomène en produisant des composés dits osmoprotecteurs (ou solutés compatibles). Ces composés, par leur concentration, assurent l’ajustement osmotique entre le cytosol et la vacuole. Différentes molécules peuvent jouer le rôle de « solutés compatibles » chez les végétaux (voir figure 1.1) :

Pour les acides aminés, la proline, l’alanine, la β-alanine et la taurine sont les plus connus. Des ammoniums quaternaires comme la glycine bétaïne, la β-alaninebétaïne, la choline-O-sulfate et la glycerophosphorylcholine ainsi que des sulphoniums tertiaires comme le 3-dimethylsulfoniopropionate sont également rencontrés. Enfin, les carbohydrates comme le tréhalose, le glycérol, le mannitol, le sorbitol ou le pinitol sont aussi fréquents. Non chargés à pH neutre, hydrophiles, ils sont qualifiés de compatibles, car ils ne perturbent pas les interactions entre les macro-molécules et le solvant. Leur structure chimique présentant des affinités pour les groupements carbonés des protéines, ils protègent ainsi leur intégrité structurale Les composés non-compatibles tendent à être exclus de la sphère d’hydratation des protéines, ce qui stabilise leur structure. L’accumulation de proline ou de glycine bétaïne dans le cytosol est accompagnée d’une baisse de la concentration de solutés moins compatibles (comme les sels) et d’une augmentation du volume d’eau du cytosol. La proline fonctionnerait peut-être aussi comme un « hydroxyl radical scavenger » et stabiliserait les membranes par interaction avec les phospholipides.

- Perturbations physiologiques

Un excès de sel dans le protoplasme conduit à des perturbations dans la balance ionique, ainsi que bien entendu des perturbations des enzymes, membranes et autres macro-molécules. Ces perturbations entraînent une faible production d’énergie par la phosphorylation et la photorespiration, une assimilation de l’azote perturbée, et un dérèglement de nombreuses voies métaboliques. Si la concentration en sel excède le niveau de tolérance de la plante, des perturbations fonctionnelles apparaissent au niveau de la photosynthèse, par effet du sel dans le stroma des chloroplastes qui perturbe le transport des électrons. La glycolyse et le cycle de Krebs sont aussi affectés. L’acquisition de nutriments minéraux, comme le potassium, les nitrates ou le calcium est également réduite. La croissance des Végétaux est perturbée par de trop fortes concentrations de sel. La plante montre alors des signes de stress par la production d’anthocyanes ou la destruction de la chlorophylle. Si chez certains halophytes la croissance est stimulée par un apport modéré de sel, ce phénomène reste limité par un niveau de tolérance. Des stress extrêmes conduisent au nanisme et à l’inhibition de la croissance racinaire. Les feuilles deviennent sclérosées avant même d’avoir fini leur croissance, et l’organisme tout entier risque de dépérir assez vite.

- Une sensibilité différente suivant les végétaux

Nous n’avons souligné, toutes les plantes ne sont pas égales face au stress salin. Suivant leur production de biomasse en présence de sel, quatre grandes tendances ont été discernées (voir graphique 1.1) :

- Les Halophytes vraies, dont la production de biomasse est stimulée par la présence de sel. Ces plantes présentent des adaptations poussées et sont naturellement favorisées par ces conditions : Salicornea europaea, Suada maritima...
- Les Halophytes facultatives, montrant une légère augmentation de la biomasse à des teneurs faibles en sel : Plantago maritima, Aster tripolium...
- Les Non-Halophytes résistantes, supportant de faibles concentrations en sel : Hordeum sp. ...
- Les Glycophytes ou Halophobes, sensibles à la présence de sel : Phaseolus vulgaris, Glycine max...

Deux plantes modèles pour la recherche

- Choix des modèles

Arabidopsis thaliana et Thellungiella halophila sont deux Brassicacées. La première est une plante très commune de nos jardins et terrains vagues, la seconde est une crucifère du bord de mer de l’est de la Chine. Elles ont une morphologie proche, mais diffèrent par leur réaction en cas de stress salin : A. thaliana est une glycophyte, T. halophila est une halophyte (voir figure 2.1).

Ces deux végétaux présentent une forte proximité génétique : 95,76 % des séquences d’ADN complémentaire comparées sont identiques, avec certainement des arrangements similaires. La taille de leur génôme varie cependant : T. halophila possédant presque le double de celui d’A. thaliana (voir paragraphes suivants). De plus, la réponse au stress salin chez T. halophila est d’ordre physiologique et biochimique ; sans développement de glande à sel ou de toute autre transformation anatomique. Ceci permet de comparer plus facilement les réponses au stress salin chez ces deux plantes.

- Axes de recherche

Trois grands aspects de la tolérance au sel sont retenus dans l’étude du stress salin : l’homéostasie, la détoxication et l’influence de la croissance (Zhu, 2001). Ces trois voies de réaction des plantes au stress salin se composent d’une cascade d’événements physiologiques et biochimiques (voir figure 2.2), présentant à chaque étape des axes de comparaison pertinents.

L’homéostasie est garantie par différents processus, en cas de stress salin, toute une série de gènes sont particulièrement activés, codant pour des protéines responsables du maintient de l’homéostasie. Ce sont les gènes SOS (Salt Overly sensitive). La protéine SOS3 interagit avec SOS2, qui est une sérine/thréonine protéine kinase. La cible du complexe SOS3/SOS2 est la protéines SOS1, un transporteur membranaire Na+/H+ (antiport), qui exporte les ions sodiums hors de la cellule. L’expression des gènes SOS est régulée par la présence de sel chez A. thaliana et la régulation de l’homéostasie en présence de sel est réduite par les mutations de sos2 et sos3.

La réponse au stress osmotique par la biosynthèse d’osmorégulateurs (ou osmolytes) a été détaillée dans les paragraphes précédents. La MAPK (Mitogen-Activated Protein Kinase) est suggérée comme à l’origine de la régulation de la réponse au stress osmotique par l’implication d’osmorégulateurs. Là encore, des travaux supplémentaires devront être menés L’étude des voies biochimiques de biosynthèse d’osmorégulateurs comme la proline permet également d’obtenir des informations supplémentaires sur la réponse au stress salin : la P5C (Δ1 - pyrroline -5- carboxylate) est une enzyme-clé dans la production de proline. Un travail d’intérêt repose donc dans la compréhension des voies de régulation de la biosynthèse des osmorégulateurs impliquées lors du stress salin.

Le contrôle dans la croissance peut se baser sur des études comparatives de l’état physiologique de A. thaliana et T. halophila sur un milieu riche en NaCl, à différents jours de croissance. Des études menées dans ce but prouvent que T. halophila a une résistance accrue face au sel, supportant une accumulation de sel dans ses feuilles sans dommages physiologiques (M’rah et al., 2005).

- Constitution de banques EST

L’étude génétique de T. halophila a permis de réaliser de première comparaisons entre T. halophila et A. Thaliana : en effet, à partir de la création d’une banque de cDNA issue des ARNm de T. halophila en milieu NaCl, il a été possible de réaliser un séquençage de ces cDNA et de les comparer à une banque de cDNA d’A. thaliana. Le protocole suivi permet d’étudier le transcriptome de T. halophila en milieu salé, et ainsi de mettre en évidence des gènes transcrits dans ces conditions. 95,76 % des expression sequence tags (EST) ainsi obtenus sont identiques à A. thaliana, et au moins huit classes de gènes ont été reliés à la tolérance au sel, correspondant à 18,89 % des séquences EST (voir tableau 2.1).

Ainsi, ce travail a permis entre autres la mise en évidence de l’expression d’enzymes de nettoyage ROS (scavenging enzymes) comme L-ascorbate peroxidase, la catalase-3 ou encore la glutathione peroxidase suggère la présence d’un système de détoxification en présence de sel chez T. halophila. Des ADNc codant pour des enzymes de biosynthèse d’osmorégulateurs ont aussi été obtenus, comme l’ADNc de la Δ1 - pyrroline -5- carboxylate.

Ces résultats confirment que T. halophila peut être adopté comme modèle de comparaison avec A. thaliana pour l’étude moléculaire de la réponse au stress salin, et ouvrent la voie à de nombreuses études ultérieures.

Conclusion

L’étude du stress salin chez les Végétaux prend, grâce à la biologie moléculaire et le choix de plantes-modèles pertinents, un tournant décisif, qui sans aucun doute apportera bon nombre de nouvelles données en biologie fondamentale. Mais tous ces travaux ne seraient pas motivés de la même manière si derrière ces recherches ne se cachait un enjeu agronomique de taille : En effet, aujourd’hui dans le monde, près de 20 % des cultures sont irriguées avec de l’eau saumâtre. Si certaines cultures comme la betterave ou l’asperge s’accommodent fort bien d’un sol salé, il n’en est pas de même pour d’autres cultures, comme les agrumes ou certaines Légumineuses. Les ressources en eau douce menaçant de diminuer lors des prochaines décennies, l’étude des mécanismes de résistance au stress salin présente donc un enjeu important. De ces connaissances, des méthodes d’amélioration des cultures et de valorisation des sols permettront une meilleure production végétale, pour répondre à une demande sans cesse augmentant.

Bibliographie

HAGEMEYER J. Salt. In Plant Ecophysiology. New York : John Wiley & Sons, Inc. 1996, p 176-181. ISBN : 0-471-13157-1

HELLER R., ESNAULT R., LANCE C. Physiologie Végétale. Tome 1 Nutrition. Paris : Dunod, 2004, 323 p. ISBN : 2-10-048710-8

LARCHER W. Physiological Plant Ecology. New-York, Springer, 1995, p 396-400. ISBN : 3-540-58116-2

M’RAH S., OUERGHI Z., BERTHOMIEU C., HAVAUX M., JUNGAS C., HAJJI M., GRIGNON C., LACHAÂL M. Effects of NaCl on the growth, ion accumulation and photosynthetic parameters of Thellungiella halophila. Journal of Plant Physiology, 2005, in press.

ZHU J.-K. Plant salt tolerance. Trends in Plant Science, 2001, n°2 vol. 6, p. 66-71.

WANG Z., Li P., FREDRICKSEN M., GONG Z., KIM C. S., ZHANG C., BOHNERT H. J., ZHU J.-K., BRESSAN R. A., HASEGAWA P. M. et al. Expressed sequence tags from Thellungiella halophila, a new model to study plant salt-tolerance. Plant Science, 2004, n°3, Vol. 166, p. 61-71


 

Biosynthèse de la Proline sous stress osmotique chez les Végétaux supérieurs (1037 pixels x 1109 pixels). 23.8 ko

Document réalisé en complément de l’article "Arabidopsis thaliana et Thellungiella halophila, plantes modèles dans l’étude du stress salin"
 
 
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