Du sang de groupe O par traitement enzymatique ?
Un article publié par la revue Nature Biotechnology [1] pourrait bien révolutionner les transfusions sanguines : en effet, une équipe internationale de biologistes y présente deux familles d’enzymes qui pourraient bien permettre d’abolir la barrière naturelle du système ABO !
Les groupes sanguins A, B, AB et O sont déterminés par la présence à la surface des globules rouges (ou chez d’autres cellules) d’antigènes polysaccharidiques spécifiques. Trois antigènes composent les groupes sanguins : A, B et H. L’antigène H est présent chez les individus de type O. Il s’agit de la forme de base de ce type d’antigènes. En conséquence, le type O est compatible avec n’importe quel système immunitaire et les individus de type O sont considérés pour cette raison comme « donneurs universels ». A l’inverse, les individus de type AB possèdent les deux antigènes A et B, différant de la forme de base par le greffage de galactose (antigènes B) ou de N-GlcNAc (antigènes A). Ils ne peuvent recevoir d’autre sang que du type AB ou O. Lors de transfusions sanguines, toute incompatibilité de groupe sanguin provoque une réaction immunitaire violente, l’accident ABO, pouvant se révéler mortelle.
Afin de résoudre ce problème majeur, les chercheurs de la bio-société américaine ZymeQuest, de l’Université de Copenhague et du CNRS proposent une méthode innovante de conversion des groupes sanguins. L’obtention de sang de type O, universel, améliorerait considérablement l’approvisionnement en sang transfusable. Pour réaliser un tel traitement du sang, les chercheurs ont fait appel à des enzymes produites par deux bactéries : une flavobactérie (Elizabethkingia meningosepticum) et une bactéroïdète (Bacteroides fragilis). La première enzyme, issue d’ E. meningosepticum, hydrolyse l’antigène A, tandis que la seconde enzyme, extraite de B. fragilis, s’attaque à l’antigène B. Utilisées conjointement, ces deux enzymes seraient donc capables de gommer les marqueurs antigéniques des hématies, les transformant en cellules du groupe O.
Ces deux enzymes, issues d’une exploration minutieuse de la diversité biochimique du monde bactérien, ont des propriétés catalytiques d’hydrolyse des molécules de galactose et de N-acétylgalactosamine. Le laboratoire CNRS « architecture et fonction des macromolécules biologiques » s’est intéressé à la structure tridimensionnelle de la N-acétylgalactosaminidase d’ E. meningosepticum. Cette enzyme présente une structure totalement différente des autres enzymes précédemment identifiées. En cherchant à identifier l’architecture de son site actif, les chercheurs souhaitent désormais conduire des stratégies d’optimisation de l’efficacité catalytique de cette enzyme.
Vue générale de la structure moléculaire de la N-acétylgalactosaminidase d’Elizabethkingia meningosepticum
En complexe avec le cofacteur NAD+ (en jaune) et l’antigène A, présent à la surface des globules rouges du type A. La molécule de Nacétylgalactosamine qui est reconnue et hydrolysée par l’enzyme apparaît en rouge. Crédits : AFMB / CNRS
L’utilisation de ces deux enzymes bactériennes pourrait donc aboutir à une simplification spectaculaire des problèmes actuels de don de sang, en aidant à la conversion de n’importe quel sang en type O. Une solution fort appréciable pour les centres de stockage du sang, dépendants des dons et soumis à une demande fluctuante parfois difficile à gérer, en cas de catastrophe naturelle par exemple.