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  Les bactéries entéroinvasives et la barrière intestinale
 
Les bactéries entéroinvasives et la barrière intestinale

Par Guillaume Calu
Publié le mercredi 5 avril 2006. Dernière modification le mercredi 26 juillet 2006. 
Les bactéries responsables des toxi-infections sont très souvent des pathogènes entéroinvasifs : ces bactéries, une fois dans la lumière intestinale vont pénétrer à travers la barrière intestinale en survivant à leur capture par les cellules M ou les cellules dendritiques, ou bien en induisant leur phagocytose par les entérocytes via deux mécanismes distincts. Là, elles vont pouvoir traverser la barrière intestinale et utiliser les macrophages comme nouveaux hôtes. Ces bactéries sont responsables de toxi-infections : elles vont sécréter des substances toxiques (entérotoxines, LPS ...) une fois dans l’organisme, causant de nombreuses maladies (diarrhées, fièvres, pertes de connaissance, fausse couche chez la femme enceinte, arrêt cardiaque...). Leurs capacités à contourner les défenses cellulaires et immunitaires en font des sujets d’étude très intéressants dans les voies de signalisation utilisées lors des interactions pathogènes / hôtes. De plus, l’étude de ces bactéries permet de mieux comprendre les mécanismes à l’origine des toxi-infections alimentaires, responsables de près d’1% des décès en France chaque année.

 

1. Les bactéries responsables

Pour commencer, il nous faut présenter les quatre bactéries qui seront étudiées au cours de ce résumé bibliographique : Salmonella, Shigella, Listeria, Yersinia, ainsi qu’une rapide description des souches pathogènes d’Escherichia coli à titre d’élargissement. Sur le plan taxonomique, Listeria est une Firmicute (Bacillales, Listeriaceae), tandis que Salmonella, Shigella, Yersinia et E. coli sont des Gamma-protéobactéries (Enterobacteriales, Enterobacteriaceae).

a) Salmonella

Les salmonelles sont représentées sous le nom de Salmonella enterica. Une seule espèce existe en vérité, représentée par 7 sous-espèces et 2500 sérotypes. Plus communément, les sérotypes sont décrits comme des espèces à part entière, bien que cette nomenclature soit surtout pratique et ne reflète pas la réalité taxonomique des Salmonelles. Les sérotypes portent aussi le nom de la ville où ils furent identifiés pour la première fois (exemple : Salmonella dublin). Les sérotypes sont regroupés dans le tableau de Kauffmann-White. Si la salmonelle présente l’antigène Vi, il s’agit d’une salmonelle de type typhique : Salmonella typhimurium, S. paratyphi, S. typhi ... Ces salmonelles sont responsables des fièvres typhiques : traversant les entérocytes, elles sont phagocytées par les macrophages mais ne sont pas digérées. Disséminées à travers le sang vers le foie et la rate, elles vont se multiplier et induire la lyse des macrophages. De nombreuses molécules de LPS sont alors libérées, provoquant des fièvres intenses, voire des pertes de connaissance et un arrêt cardiaque. En 2001, 20 millions de personnes étaient atteintes par ces fièvres, pour 216000 décès estimés. Les souches non typhiques créent des douleurs abdominales, des diarrhées et des fièvres. Le taux de mortalité est de 0,4% en France. Aucune salmonelle n’est tolérée dans 25 g d’aliments (œufs, viande, ...). Des tests draconiens sont aussi réalisés pour l’eau. Le sérotypage Vi et H dure en moyenne 5 jours. Les traitements existants se basent sur l’utilisation d’antibiotiques (ampicilline ou chloramphénicol). La capsule Vi protégeant les salmonelles typhiques des anticorps spécifiques, un vaccin à base de fragments de ces capsules a été développé. Il a un taux d’efficacité de 60-70%. Au niveau des élevages, l’utilisation d’antibiotiques est vivement critiquée ; l’emploi d’oligosaccharides leurres est actuellement développée pour contrer les salmonelles.

b) Listeria

Listeria monocytogenes est une bactérie opportuniste, profitant d’un hôte affaibli. Elle franchit la barrière intestinale pour infecter les monocytes. De là, elle est véhiculée dans les ganglions mésentériques qui la disséminent dans la circulation lymphatique, la circulation sanguine, l’unité foeto-placentaire et le système nerveux central. Elle cause des mots de tête, des méningites et des risques d’avortement chez la femme enceinte. Ses gènes de pathogénicité sont regroupés en îlots de gènes dans son génome. 300 cas sont répertoriés chaque année en France. La listériose est évitée par un traitement rigoureux de la chaîne des aliments (hygiène, respect de la chaîne du froid, ...) et par une bonne hygiène de vie et une sensibilisation des personnes à risques (parents de nourrissons, personnes âgées ...).

c) Shigella

Ces entérobactéries sont très proches d’Escherichia coli. Elles comptent 4 espèces, dont Shigella dysenreriae, bactérie responsable de la dysenterie bacillaire. Ces bactéries sont des parasites exclusivement humains, très présentes dans le tiers-monde. Elles causent 775000 morts par an. Les shigelles sont recherchées par coproculture dans les selles diarrhéiques afécales muco-sanglantes. Les milieux de Drigalski et SS sont utilisés pour l’isoler. Les traitements à base d’antibiotiques (ampicilline, ...) et une réhydratation de l’organisme sont préconisés. Une bonne hygiène des mains et une bonne qualité de l’eau potable permettent aussi de prévenir tout risque. [2]

d) Yersinia

Certaines souches de Yersinia sont entérotoxinogènes. Yersinia enterocolitica est bien connue : une fois la barrière intestinale franchie, elles vont envahir la partie terminale de l’iléon, et plus précisément les plaques de Meyer. Elles se multiplient dans les tissus lymphoïdes, et se propagent au ganglion mésentérique où elles provoquent une adénite mésentérique et des gastro-entérites. Leur virulence est associée à un plasmide de virulence, pYV (70kbp). [4] La peste, causée par Yersinia pestis, est aussi tristement célèbre [3]. Transmise à l’homme par les puces, elle est probablement la bactérie la plus pathogène chez l’Homme.

e) Escherichia coli

Toutes les entérobactéries Escherichia coli ne sont pas des entéropathogènes. Ces bacilles commensaux de l’Homme sont naturellement présents dans la flore digestive de l’intestin. Seules certaines souches sont pathogènes, et présentent des îlots de pathogénicité. Elles peuvent adhérer aux entérocytes (E. coli entéropathogènes EPEC, E. coli entérotoxicogènes ETEC et E. coliE. coliShigella, envahissant les cellules M, puis les entérocytes où elles s’y multiplient et enfin atteignant la lamina propria [2]. entérohémorragiques EHEC), sécrètent alors des toxines, causant des diarrhées (les ETEC sont responsables de la « turista »). D’autres souches vont traverser la barrière intestinale ( entéroinvasives EIEC). Elles utilisent pour se faire un mécanisme de virulence quasi-identique aux

2. Mécanismes d’invasion

Ces bactéries, nous l’avons vu, sont donc capables de franchir la barrière intestinale. Ce phénomène, à l’origine des toxi-infections, est très largement étudié. Dans cette seconde partie de cet article, nous allons nous pencher sur une voie de pénétration de la barrière intestinale, via les entérocytes. Il a été remarqué que ces bactéries entéroinvasives peuvent pénétrer via les cellules dendritiques ou les cellules M, mais sont capables d’induire leur propre phagocytose par les entérocytes, cellules épithéliales pourtant non-phagocytiques [1]. Pour ce faire, deux mécanismes sont discernables : le « Zipper mechanism » et le « Trigger mechanism ».

a) Le Zipper mechanism

Ce mécanisme permet aux bactéries comme Yersinia ou Listeria de pénétrer dans l’entérocyte par formation d’un phagosome. Pour ce faire, il faut tout d’abord que s’assure un contact et une adhérence. Puis la phagocytose est induite : une cascade de signaux moléculaires provenant de la fixation de la bactérie sur des récepteurs cellulaires vont induire la polymérisation de l’actine et l’extension de la membrane. Le phagosome se forme et se rétracte, puis se referme et se dégage de la membrane plasmique grâce à la dépolymérisation de l’actine [1]. Chez Yersinia, l’invasine est une protéine de la membrane externe qui va reconnaître l’intégrine humaine, exprimée sur les membranes des entérocytes. La parte cytoplasmique de l’intégrine, qui en temps normal interagit avec le cytosquelette des plaques d’adhésion cellulaire, permet l’activation de cascades de phosphorylation (tyrosines kinases). Le résultat de ces phosphorylations est un détournement de la polymérisation de l’actine afin de former le phagosome. Listeria se distingue par deux protéines de reconnaissance différentes : l’internaline A (InlA) et l’internaline B (InlB). Ces deux protéines bactériennes sont des Leucine-rich repeat protein (LRR), interagissant pour la première avec la E-cadhérine, protéine de surface des entérocytes et pour la seconde avec Met (récepteur transmembranaire tyrosine kinase). Une hypothèse actuellement étudiée décrit également InlB comme soluble, et ce suite à l’utilisation d’héparine pour détacher InlB de la surface bactérienne. InlB imiterait alors le ligand de son récepteur humain, l’HGF (Hepatocyte Growth Factor).

b) Le Trigger mechanism

Ce mécanisme concerne plus particulièrement Shigella et Salmonella. Dans ce cas de figure, les bactéries vont sécréter à l’intérieur des entérocytes via un pore de type TTSS III des protéines permettant l’activation directe de composants du cytosquelette. Il s’en suit la formation d’une poche macropinocytique par polymérisation de l’actine. Puis, la bactérie pénètre dans la cellule, logée dans son endosome. Il y a dépolymérisation de l’actine et la poche macropinocytique se referme [1]. Chez Salmonella, TTSS est codé par un îlot de pathogénicité chromosomique (SPI-1). Chez Shigella, les gènes nécessaires sont codés par un îlot de pathogénicité (PAI) porté par un plasmide de virulence. Le système TTSS fait actuellement l’objet d’études, notamment chez Shigella flexneri [5].

3. La vie intra-cellulaire des entérobactéries

Après internalisation, les bactéries vont soit rester dans l’endosome (exemple de Salmonella), soit s’échapper dans le cytosol et se répliquer (Listeria, Shigella ...), comme l’illustre la figure 1. Certaines bactéries intracytosoliques peuvent aussi se mouvoir par un procédé de polymérisation d’actine qui va les « pousser » dans le cytosol [1].

Les bactéries ayant appris à survivre dans les endosomes sont soumises à de fortes pressions : le pH chute, peu de nutriments sont présents, les enzymes lytiques vont les attaquer ... Salmonella y répond par l’activation d’un métabolisme de stress et va altérer la dynamique moléculaire du compartiment, créant ainsi une niche environnementale moins hostile à sa croissance. Quelques heures après l’infection, Salmonella réside dans un compartiment acide atypique, appelé SCV (Salmonella Containing Vacuole), sorte d’endosome détourné par la bactérie. Les Salmonelles détournent ainsi les endosomes de la voie normale de phagocytose par lysozymes primaires et secondaires par les actions de Rab5, la PI3-kinase, EEA1 et Rab7. De plus, la fusion avec le réticulum endoplasmique permet à la bactérie de compléter la maturation des SCV. Les protéines sifA codées par les salmonelles contribuent également à la formation de filaments sifs (filaments enrichis en glycoprotéines lysosomiales), afin d’accroître le volume des SCV et permettre la réplication des bactéries.

D’autres bactéries sortent de l’endosome via des pores créés par l’action de toxines : Listeria sécrète la listeriolysine O (LLO), une molécule activant le facteur nucléaire NF-kappaB, et entraînant la formation de pores sur l’endosome. Par la suite, la bactérie se déplace dans la cellule grâce à la polymérisation de l’actine, qui va littéralement la « propulser ». Listeria utilise pour se faire la protéine de surface ActA, qui recrute et polymérise l’actine. Cette locomotion est modulée par de nombreuses autres molécules comme la cofiline, les profilines, les « capping » protéines ... Au final, les bactéries vont ainsi pouvoir traverser la cellule et infecter les cellules voisines. Il se produit alors un mécanisme d’endocytose incluant deux membranes plasmiques : celle de la cellule infectée et celle de la cellule voisine ; dont la bactérie s’échappera également avant de polymériser à nouveau l’actine pour se déplacer.

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Figure 1 : deux stratégies intracellulaires chez Listeria monocytogenes et Salmonella

4. A l’assaut des cellules du système immunitaire

La dernière étape, une fois la barrière intestinale franchie, consiste à infecter les cellules immunitaires et les tissus lymphoïdes. Cette seconde ligne de défense est à son tour brisée par les bactéries entéroinvasives, qui vont aussi utiliser les tissus lymphoïdes pour se propager à travers l’organisme.

Salmonella, comme vu plus haut, est phagocytée par les macrophages, mais elle va également détourner les phagosomes, empêchant sa digestion au sein d’un lysosome. Un système SPI1/SPI2 en ‘interrupteur’ va contrôler le devenir du macrophage : SPI1 entraîne son apoptose et une inflammation (par libération d’IL-1β et d’IL-18), rompant l’imperméabilité de la barrière intestinale et facilitant l’entrée de bactéries supplémentaires ; tandis que SPI2 favorise la croissance et la prolifération des bactéries dans le macrophage.

Shigella a une stratégie proche : elle provoque l’apoptose des macrophages et monocytes et assure ainsi sa survie, mais induit une inflammation en entraînant la production d’IL-1β et d’IL-18, pour également briser la barrière intestinale et favoriser l’entrée d’autres bactéries dans l’organisme.

Listeria monocytogenes va être elle aussi phagocytée, mais va s’échapper dans le cytoplasme avant d’être digérée par les lysosomes. Elle va par la suite se développer dans les macrophages et les monocytes, et être ainsi véhiculée à travers l’organisme via la circulation lymphatique.

Yersinia adopte une stratégie différente, empêchant sa phagocytose. Pour cela, elle injecte les protéines YopE, H et T qui inactivent le cytosquelette d’actine, empêchant leur phagocytose. De plus, ces bactéries adoptent une stratégie anti-inflammatoire avec YopP/J en bloquant la production de la TNF-α, empêchant ainsi le recrutement de monocytes et de leucocytes polymorphonucléolaires dans la lutte contre l’invasion bactérienne.

Conclusion

Les bactéries entéroinvasives utilisent donc différentes stratégies d’infection, ayant pour but le franchissement de deux barrières naturelles de défense de l’organisme : la barrière intestinale et le système immunitaire. La capacité de rompre et de contourner ces barrières représente un champ d’investigation important en biologie moléculaire et en médecine, afin de mieux comprendre les interactions bactéries / hôte et de mieux pouvoir les combattre. Mais ces mécanismes sont encore loin d’être parfaitement compris. Dans cet article, seules les grandes lignes des mécanismes d’action ont été rapportés. Restent toutes les cascades moléculaires à décrypter entièrement, ainsi que les transcriptions induites et les programmes de translation chez les bactéries et les cellules de l’hôte lors de ces infections. De ces connaissances aboutiront certainement de nouvelles armes dans la lutte contre les
 
 
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