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  Théorie de la mesure
 

La mesure, au sens topologique, va nous permettre de généraliser la notion élémentaire de mesure d'un segment, ou d'une aire (au sens de Riemann, par exemple) et est indissociable de la nouvelle théorie de l'intégration que Lebesgue mettra en place de 1901 à 1902 et que nous allons aborder ici afin de construire des outils mathématiques beaucoup plus puissant que l'intégrale simple de Riemann (cf. chapitre de Calcul Différentiel Et Intégral). 

La théorie de la mesure va également nous permettre de définir avec rigueur le concept de mesure (peu importe la mesure de quoi) et ainsi de revenir sur des résultats importants de l'étude des probabilités (cf. chapitre de Probabilités). Effectivement, nous allons voir (nous définirons le vocabulaire qui suit plus loin) pourquoi (U, A, P) est un "espace de probabilités" où A est au fait une tribu sur U et P une mesure sur l'espace mesurable (U, A).

Avertissement : Le niveau de connaissance requis pour la lecture de ce chapitre est assez élevé. Il faut être à l'aise avec les notions vues en théorie des ensembles ainsi qu'en topologie. Un très bon niveau d'abstraction et beaucoup de volonté de compréhension est aussi souhaité. En tout cas... bonne chance!

ESPACES MESURABLES

Définitions :

D1. Soit E un ensemble, une "tribu" (ou ""σ-algèbre" ") sur E est une famille de parties de E vérifiant les axiomes suivants :

A1. (voir exemples plus bas - E étant considéré comme élément)

A2. Si A est un élément d'une tribu alors . Ce qui signifie que est "stable par passage au complémentaire". Cet axiome implique que l'ensemble vide est toujours un élément d'une tribu!

A3. Pour toute suite d'éléments de nous avons . Nous disons alors que est "stable par union dénombrable".

Remarques : 

R1. Nous écrivons car nous ne considérons E non plus comme un sous-ensemble de ! mais comme un élément de

R2. Les cas non-dénombrables sont typiques de la topologie, de la statistique ou du calcul intégral!

D2. Le couple est appelé "espace mesurable" et nous disons que les éléments de sont des "ensembles mesurables". Si dans le troisième axiome nous imposons seulement que soit stable par union finie nous imposons la notion plus générale "d'algèbre". Ainsi, une tribu est nécessairement contenu dans une algèbre (mais le contraire n'est pas vrai car justement l'axiome est plus fort).

Exemples:

E1. Soit un ensemble de cardinal 2. Les deux seules tribus qui satisfont les trois axiomes sont :

  (1)

Il n'y a pas d'autres tribus pour l'ensemble E donné que ces deux (la grossière, et la maximale), car il ne faut pas oublier que l'union de chacun des éléments de la tribu doit aussi être dans la tribu (axiome A3), ainsi que le complémentaire d'un élément (axiome A2).

Nous voyons par ailleurs de cet exemple que si E est un ensemble est bien une tribu!

E2. L'ensemble des parties de E, noté est aussi une tribu (dixit l'exemple 1).

Une tribu est aussi "stable par union des complémentaires dénombrables". En effet si est une suite d'éléments de nous avons (trivial en prenant comme référence l'exemple E1) :

et   (2)

Une tribu est aussi "stable par intersections dénombrables" (trivial en prenant comme référence l'exemple E1) :

  (3)

ce qui amène à ce qu'une tribu est stable par unions et intersections dénombrables. En particulier, si nous prenons deux éléments d'une tribu alors . Avec pour rappel (cf. chapitre de Théorie Des Ensembles) :

  (4)

Remarque: Nous voyons aisément avec l'exemple E1 que si une famille de tribus sur E est une tribu (la vérification des trois axiomes est immédiate)
alors

Définition: Soit E un ensemble et une famille de sous-ensemble de tel que . Soit la famille de toutes les tribus contenant (entre autres) . n'est évidemment pas vide car . Nous notons par définition :

  (5)

la "tribu engendrée" par . est donc par définition la plus petite tribu contenant (et par extension la plus petite tribu de E).

Voici deux exemples qui permettent de vérifier si ce qui précède à été compris et qui permettent de mettre en évidence des résultats importants pour la suite.

Exemples:

E1. Soit E un ensemble, et alors (lorsque A est vu comme un sous-ensemble de E comme le précise l'énoncé et non comme une famille de sous-ensembles!) :

  (6)

E2. Si est une tribu sur E alors :

  (7)

E3. Soit et nous avons dès lors (prenez bien garde car maintenant A est une famille de sous-ensemble et non simplement un unique sous-ensemble!) la tribu engendrée suivante :

  (8)

Plutôt que de déterminer cette tribu en cherchant la plus petite tribu de contenant A (ce qui serait laborieux) nous jouons avec les axiomes définissant une tribu pour facilement trouver celle-ci.

Ainsi, nous trouvons donc bien dans au moins l'ensemble vide obligatoire ainsi que:

  (9)

selon l'axiome A1 et:

  (10)

lui-même par définition de et les complémentaires de:

  (11)

selon l'axiome A2 ainsi que les unions:

  (12)

selon l'axiome A3.

Définition : Soit E un espace topologique (cf. chapitre de Topologie). Nous notons la tribu engendrée par les ouverts de E. est appelée la "tribu borélienne" sur E. Les éléments de sont appelés les "boréliens" de E.

Remarque:

R1. La notion de borélien est surtout intéressante car elle est nécessaire à la définition de la "tribu de Lebesgue" et par suite à "la mesure de Lebesgue" qui nous aménera à définir "l'intégrale de Lebesgue".

R2. La tribu étant stable par passage au complémentaire, elle contient aussi tous les fermés!

R3. Si E est un espace topologique à base dénombrable, est engendrée par les ouverts de la base.

Exemple:

Si désigne l'espace des réels muni de la topologie euclidienne (cf. chapitre de Topologie), la famille des intervalles ouverts à extrémités rationnelles est une "base dénombrable" (étant donné les extremités...) de et donc engendre . Même remarque pour , , avec comme base dénombrable la famille des pavés ouverts à extrémités rationnelles.

Considérons maintenant un ensemble dense (cf. chapitre de Topologie) dans . Les familles suivantes engendrent :

;;;   (13)

Démonstration:

Soit (la famille des ouverts) :

  (14)

Nous avons évidement :

  (15)

De plus :

  (16)  

Donc les intervalles du type [a,b[ avec a et b dans appartiennent aussi à . Donc, si nous généralisons, avec  , il existe une suite d'éléments de décroissant vers x et une suite d'éléments de croissant vers y tel que :

  (17)

ce qui entraîne au même titre (que ) que . Les autres cas se traitent de manière analogue.

C.Q.F.D.

Soit un espace mesurable et (et ) (où A est donc considéré comme un sous-ensemble et non comme un élément !). La famille est une tribu sur A appelée "tribu trace" de sur A, nous la noterons . De plus, si , la tribu trace est formée par les ensembles mesurables contenus dans A.

Démonstration: Nous allons faire une démonstration par l'exemple (...). Nous vérifions les trois points de la définition d'une tribu :

1.

2. Soit et donc

Exemple:

Soit alors (une tribu parmi d'autres - ne pas oublier la stabilité par union !) : 

  (18)  

Choisissons (il est évident que est une tribu sur A).

Dès lors :

  (19)

et nous avons bien ainsi que .

3. Soit une suite d'éléments de alors :

  (20)

La dernière assertion de la proposition sera supposée évidente.

C.Q.F.D.

Soit maintenant E un ensemble, une famille de parties de E et non vide. Nous notons la trace de sur et la tribu engendrée par sur A. Alors :

    (21)

Exemple:

Soit l'ensemble , , alors :

  (22)

Et vérifions :

  (23)

Donc l'égalité est vérifiée.

Un corollaire trivial de cette égalité est que si nous considérons un espace topologique E et muni de la topologie induite. Alors:

  (24)

Rappelons (cf. chapitre de Théorie Des Ensembles) que si nous avonsE qui est un ensemble, alors pour tout nous définissons la différence symétrique entre A et B par :

  (25)

Les propriétés triviales sont les suivantes :

P1. Une algèbre est stable par différence symétrique ( nous avons )

P2.

P3.

P3.

Si est une algèbre sur E, alors est un "anneau de Boole" (ou algèbre de Boole mais attention avec le terme "algèbre" qui peut prêter à confusion avec la théorie des ensembles) avec E comme élément neutre "additif" () respectivement "multiplicatif" (). et

Pour des rappels sur les éléments cités dans le paragraphe précédent, le lecteur pourra se reporter au chapitre de théorie des ensembles et le chapitre d'algèbre de Boole (cf. chapitre de Systèmes Logiques Formels)

Démonstration: ("addition") est associative car en développant nous obtenons (cela se vérifie en faisant un diagramme saggital au besoin – les "patates") :

  (26)

et cette dernière expression est stable par permutation (commutation) de A et C (même méthode de vérification) . Donc :

  (27)

Nous vérifions que vérifie que est bien neutre par rapport la différence symétrique (la démonstration que E est neutre par rapport à l'inclusion est évidente). Il est trivial que :

et que   (28)

est donc bien un groupe abélien par rapport à la loi (différence symétrique).

C.Q.F.D.

Pour finir est distributif par rapport à . En effet:

  (29)

Ce qui fait bien de un anneau (qui de plus est un anneau commutatif).

THÉORÈME DE LA CLASSE MONOTONE

Définition : Soit E un ensemble. Une "classe monotone" sur E est une famille de parties de E vérifiant :

A1.

A2. et

A3. Si est une suite croissante (attention au terme "croissant") d'éléments de alors (stable par union dénombrable croissant)

Remarque:

R1. Une suite croissante d'ensembles c'est :

R2. Les deux premiers points impliquent que est stable par passage au complémentaire.

R3. Les axiomes (2) et (3) (plus le (1)) amènent que la classe monotone est stable par intersection décroissante. Une manière de vérifier c'est de prendre le complémentaire de chaque élément de la suite croissante pour tomber sur la suite décroissante et inversement.

R4. L'axiome 3 des classes monotones étant un peu plus restrictif (plus "fort") que l'axiome 3 des tribus (puisque nous y imposons une suite croissante). Cela implique que toute tribu est une classe monotone (tout union dénombrable de la tribu étant dans la tribu ce qui est une condition plus forte que la suite croissante) !

De la même manière que pour les tribus, si nous considérons une famille de classes monotones sur E. Alors est une classe monotone (la démonstration se vérifie immédiament par les trois axiomes précédemment cités).

Exemple:

Si E est un ensemble, est une classe monotone sur E. Plus généralement, une tribu est une classe monotone.

De manière équivalente aux tribus, considérons un ensemble E et . Soit la famille de toutes les classes monotones contenant . n'est pas vide car . Nous notons :

  (30)

la classe monotone engendrée par . est la plus petite classe monotone contenant (et satisfaisant bien évidemment aux axiomes).

Remarque:Si E est un ensemble et alors , car est une classe monotone (et aussi une tribu) contenant et donc elle contient aussi (voir les exemples avec les tribus).

Le théorème (de la classe monotone) s'énonce ainsi : soit E un ensemble. Si est une famille de parties de E que nous imposons stable par intersections finies alors (nous devons donc prouver que la tribu minimale de est égale à la classe monotone minimale de ). Si nous imposons pas que soit pas stable par intersections finies nous aurions pas nécessairement l'égalité.

Démonstration:

comme déjà dit  (c'est quasiment trivial). Nous allons montrer dans un premier temps que est donc aussi une tribu sur E. Pour ceci il suffit de montrer que est (aussi) stable par union dénombrable (et non nécessairement par une suite croissante d'éléments!).

Considérons les familles suivantes pour la démonstration :

  (31)

  (32)

Par les définitions précédentes mais étant (imposé) stable par intersections finies entraîne et donc (c'est le même raisonnement que pour les tribus) :

  (33)

est une classe monotone en effet , si et que (axiome 2) alors :

  (34)

et donc (ce qui appuie que les autre éléments satisfont la relation précédente) :

Si est une suite croissante d'éléments de alors :

  (35)

car est une suite croissante.

Ainsi est bien une classe monotone et par , nous avons donc :

  (36)

Cette dernière égalité implique . Comme pour , nous montrons montrons que est une classe monotone et donc , ce qui veut dire par extension que est est donc stable par intersections finies.

étant stable par passage au complémentaire ceci entraîne que est, nous venons de le montrer, stable par unions finies (alors que nous voulons démontrer que c'est stable par union dénombrable).

Soit à présent une suite d'éléments de . Nous considèrons la suite :

  (37)

est une suite croissante d'éléments de , donc :

mais   (38)

Donc :

  (39)

Ainsi est stable par union dénombrable et enfin est une tribu. Or comme cela nous amène donc à .

 
 
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